Écrit par Lincoln Caylor et Nathan Shaheen
Dans son récent Énoncé économique de l’automne, le gouvernement fédéral canadien en place a annoncé son intention d’accroître considérablement les pénalités financières (et autres) auxquelles s’exposent les personnes et les entités désignées faisant des affaires au Canada (appelées les « entités déclarantes »1) qui ne respectent pas les obligations du régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité (LRPC). On ne sait pas avec certitude combien de temps le gouvernement actuel demeurera au pouvoir, mais il est peu probable que son successeur adopte une approche moins stricte à cet égard. D’autant plus que le Groupe d’action financière (GAFI) procédera sous peu à son évaluation mutuelle du Canada, qui mesurera l’efficacité opérationnelle du régime de LRPC quel que soit le parti politique à la tête du pays.
Les entités déclarantes ont donc des raisons de plus de comprendre les obligations actuelles et prévues du régime de LRPC et de faire proactivement les démarches nécessaires en vue de se conformer aux lois et aux règlements applicables sous ce régime.
Contexte
Au Canada, la « pièce maîtresse » du régime de LRPC est la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la LRPCFAT), avec ses règlements d’application (règlements). Le régime constitue la tentative législative et réglementaire du Canada d’adhérer aux normes établies par le GAFI, le principal organisme de normalisation international en matière de LRPC. Les normes du GAFI sont énoncées dans ses 40 recommandations régulièrement mises à jour, lesquelles définissent un cadre complet de mesures de LRPC que celui-ci s’attend à voir les pays mettre en œuvre.
Il importe de noter que le GAFI mène aussi des examens périodiques des divers pays et de leur conformité (ou non-conformité) avec ses 40 recommandations, et en publie les résultats dans ses rapports d’évaluation mutuelle. Or, l’obtention de piètres résultats peut avoir des répercussions profondes sur un pays et sur ses systèmes financiers. Des études ont révélé, par exemple, que le fait d’être inscrit sur la « liste grise » des « juridictions soumises à une surveillance renforcée » du GAFI peut entraîner une réduction notable du ratio d’investissement direct étranger sur le PIB et se traduit par une diminution globale de l’afflux de capitaux dans ce pays.
La dernière évaluation mutuelle du Canada par le GAFI remonte à 2016. Même si le Canada ne s’est pas retrouvé sur la liste grise, ses résultats ont généralement été peu reluisants. Le GAFI a en effet conclu qu’il était « conforme » ou « largement conforme » à 27 recommandations, mais seulement « partiellement conforme » à six recommandations et « non conforme » à trois. Dans la foulée de ces conclusions, l’organisme a observé que les efforts de lutte contre le blanchiment d’argent des autorités canadiennes [traduction] « ne cadrent pas tout à fait avec les risques de blanchiment d’argent auxquels est exposé le pays et, dans l’ensemble, le taux de recouvrement des produits de la criminalité semble relativement bas ».
Depuis la sortie du rapport d’évaluation mutuelle du Canada de 2016, le gouvernement actuel a régulièrement modifié la LRPCFAT et les règlements, citant comme motif la nécessité de rester en phase avec les 40 recommandations du GAFI. Toutefois, le régime canadien de LRPC a été largement critiqué ces dernières années. Le point qui revient constamment est que l’unité du renseignement financier du pays – le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) – continue de manquer des ressources et de l’autorité requises pour détecter et décourager efficacement le recyclage des produits de la criminalité, et ce, en dépit des modifications techniques apportées à la LRPCFAT et à ses règlements.
Ces critiques revêtent encore plus d’importance du fait que le GAFI procédera bientôt à sa prochaine évaluation mutuelle du Canada, avec un examen sur place prévu en novembre 2025 et la publication des résultats attendue à la mi-2026. Or, comme l’a reconnu le gouvernement actuel plus tôt cette année, si le pays ne met pas effectivement en œuvre les 40 recommandations du GAFI, « il risque d’être inscrit sur la liste grise, ce qui pourrait avoir des conséquences économiques négatives et nuire à sa réputation ».
Énoncé économique de l’automne de 2024
Le 16 décembre 2024, le gouvernement fédéral a publié son Énoncé économique de l’automne. Il y annonce son intention de renforcer le régime de LRPC du Canada dans le but exprès de se préparer à la prochaine évaluation mutuelle par le GAFI en 2025-2026.
Mais ce qui est particulièrement d’intérêt pour les entités déclarantes faisant des affaires au Canada, c’est qu’il entend augmenter considérablement les pénalités financières (et autres) en cas de non-respect des exigences de la LRPCFAT et des règlements, notamment en faisant ce qui suit :
- portant à 40 fois leur montant actuel toutes les pénalités administratives pécuniaires (PAP) que le CANAFE peut imposer aux entités déclarantes;
- fixant une limite au montant total des pénalités que le CANAFE peut imposer dans un procès-verbal de non-conformité à une entité déclarante, selon le plus élevé des montants suivants :
a) la somme de 4 millions de dollars pour une personne et de 20 millions de dollars pour une entité;
b) un taux de 3 % des revenus bruts annuels de l’entité déclarante à l’échelle mondiale.
- instaurant une infraction criminelle dans le cas des entités déclarantes qui présentent des renseignements faux, inexacts ou incomplets au CANAFE;
- exigeant que les entités déclarantes et le CANAFE concluent une entente de conformité à la suite de l’imposition d’une PAP, laquelle les obligerait à prendre des mesures précises pour remédier à la conduite qui a mené à l’imposition de la pénalité, et que l’entité ne respectant pas cette entente écope d’une autre SAP selon le plus élevé des montants suivants :
a) la somme de 5 millions de dollars pour une personne et de 30 millions de dollars pour une entité;
b) un taux de 3 % des revenus bruts annuels de l’entité déclarante à l’échelle mondiale.
Les conséquences financières exposées ci-dessus accroîtraient considérablement le risque couru par les entités déclarantes qui ne se conforment pas à la LRPCFAT et aux règlements. À présent, la pénalité maximale prévue pour la catégorie de violation la plus grave se chiffre à 100 000 $ dans le cas d’une personne et à 500 000 $ dans celui d’une entité. Quoique le montant total des pénalités que le CANAFE peut imposer dans un procès-verbal de non-conformité ne soit pas plafonné à l’heure actuelle, la plus grosse pénalité globale jamais infligée qui a été déclarée sous le régime existant dépassait à peine 9 millions de dollars pour un total de cinq violations.
Dans l’Énoncé économique de l’automne, le gouvernement indique son intention d’apporter au régime de LRPC diverses autres modifications qui permettraient de faire ce qui suit :
- modifier la LRPCFAT et les règlements de sorte qu’ils s’appliquent aux personnes et aux entités participant à la création, à l’administration et à la gestion d’entreprises qui peuvent servir à faciliter le recyclage des produits de la criminalité (communément appelées les « fournisseurs de services aux entreprises »), et dans le but d’interdire clairement l’ouverture de comptes anonymes;
- rendre obligatoire l’inscription auprès du CANAFE de toutes les entités déclarantes;
- mettre sur pied un groupe de travail adapté au contexte juridique canadien pour favoriser, entre les organismes d’application de la loi et le secteur financier, l’échange et l’analyse de renseignements sur des « stratagèmes de recyclage des produits de la criminalité sophistiqués, notamment en lien avec le trafic de fentanyl »;
- établir « un dialogue interministériel avec des organismes à but non lucratif pour mieux combattre les risques de recyclage des produits de la criminalité […] en leur faisant mieux connaître ces risques et en améliorant la communication à leur sujet ».
En somme, il ne fait nul doute que le régime de LRPC modifié mis de l’avant par le gouvernement fédéral serait davantage astreignant pour les entités déclarantes que l’actuel régime, notamment à cause des pénalités nettement plus salées prévues en cas de non-conformité. Il est également probable que tout gouvernement futur chercherait à éviter les désagréments pour l’économie canadienne déjà faible qui pourraient résulter d’une mauvaise évaluation par le GAFI dans le cadre de sa prochaine évaluation mutuelle. Un régime bien plus rigoureux s’inspirant de celui proposé dans le dernier Énoncé économique de l’automne sera donc vraisemblablement mis en œuvre, peu importe le parti politique au pouvoir après les prochaines élections.
Conclusion
Les facteurs susmentionnés comptent parmi les nombreuses raisons pour lesquelles les entités déclarantes qui font des affaires au Canada ont tout intérêt à comprendre les obligations actuelles et prévues du régime canadien de LRPC et à prendre proactivement les mesures qui s’imposent afin de s’y conformer.
L’équipe de lutte contre le blanchiment d’argent de Bennett Jones se tient prête à aider sur tous les aspects de la conformité au régime de LRPC et à répondre à toute non-conformité alléguée.
1 Sont considérés comme des entités déclarantes 1) les comptables, 2) les agents de la Couronne, 3) les entreprises qui se livrent au transport d’espèces et d’autres titres négociables (que l’on nomme les « véhicules blindés »), 4) les notaires de la Colombie-Britannique, 5) les casinos, 6) les négociants en métaux précieux et pierres précieuses, 7) les entités financières, 8) les sociétés d’assurance-vie, 9) les entreprises de services monétaires, 10) les administrateurs hypothécaires, 11) les courtiers et prêteurs, 12) les courtiers et représentants immobiliers et 13) les courtiers en valeurs mobilières.
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