Écrit par Douglas Fenton, Marshall Torgov, Josephine Bulat et Kanwar Brar
La Cour suprême du Canada (CSC) s’apprête à rendre sa décision dans l’affaire Lundin Mining Corporation v. Dov Markowich (Markowich). Cette décision de la CSC concernant les obligations de divulgation est très attendue, et pourrait transformer le contexte des recours collectifs concernant les valeurs mobilières en permettant à un plus grand nombre d’investisseurs de satisfaire au critère d’autorisation, soumettant ainsi les émetteurs publics à un risque accru de faire face à des litiges.
Vous trouverez ci-dessous un résumé des principaux arguments avancés par les parties lors de l’audience de l’appel tenue devant la CSC, ainsi que les questions auxquelles la CSC a prêté une attention particulière lors des plaidoiries.
Les décisions ci-dessous
Dans l’édition 2023 de notre série Recours collectifs : Regard vers l’avenir, nous nous sommes, dans un premier temps, penchés sur la décision rendue par la Cour d’appel.
En résumé, il s’agissait de déterminer si un éboulement important survenu dans une mine appartenant à Lundin Mining constituait un « changement important » dans « les activités commerciales, l’exploitation ou le capital » de la société. L’éboulement a entraîné une interruption des activités de la mine. Lundin Mining a publié un communiqué de presse environ un mois après l’incident pour en informer le public, et a fourni séparément des données actualisées sur la productivité de la mine. Le cours de l’action de Lundin Mining a baissé peu après.
Le demandeur, un actionnaire minoritaire de Lundin Mining, a déposé une plainte en vertu du paragraphe 138.3(4) de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, qui exige qu’une société divulgue tout « changement important » dans ses « activités commerciales, son exploitation ou son capital » dans les 10 jours suivant l’événement faisant l’objet du litige. Une autorisation est nécessaire pour le déroulement de l’instance. Le critère qui doit être satisfait pour que la Cour autorise une action, décrit au paragraphe 138.8(1) de la Loi sur les valeurs mobilières, exige qu’il soit « raisonnablement possible » que l’action soit réglée au moment du procès en faveur du demandeur.
La Cour supérieure a conclu que si l’éboulement était un événement « important », il ne constituait pas un « changement » dans les « activités commerciales, l’exploitation ou le capital » de Lundin Mining, ce qui aurait rendu sa divulgation obligatoire. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que l’éboulement constituait un « changement important »; par conséquent, la Cour lui a refusé l’autorisation d’intenter l’action.
La Cour d’appel a infirmé cette décision de la Cour supérieure, concluant que le terme « changement important » devait être interprété de façon large, particulièrement dans le contexte d’une demande d’autorisation faite en vertu du paragraphe 138.8(1) de la Loi sur les valeurs mobilières, ce qui exige plutôt que le demandeur ait une possibilité raisonnable de succès fondée sur une « interprétation plausible » de la loi.
Autorisation d’intenter le recours accordée
Le 28 mars 2024, la CSC a accepté la demande d’autorisation d’appel de Lundin Mining.
L’audience devant la CSC
Les parties ont comparu devant l’ensemble des juges de la CSC le 15 janvier 2025.
Arguments de Lundin Mining
L’argument principal invoqué par Lundin Mining était que la Cour d’appel avait commis une erreur en établissant un nouveau critère en deux parties pour déterminer ce qui pouvait constituer un « changement important ». Lundin Mining a avancé que l’interprétation de la Cour de première instance était la bonne, en faisant valoir que la Cour supérieure avait correctement reconnu la distinction entre « fait important » et « changement important », ainsi que la nature particulière des faits permettant d’établir ce qui constitue un « changement important ».
Lundin Mining a aussi affirmé que la distinction entre « fait important » et « changement important » ne devrait pas dépendre exclusivement du fait que le changement soit survenu à l’extérieur de l’entreprise (c’est-à-dire un changement qui échappe au contrôle de l’entreprise).
En ce qui concerne le critère applicable, Lundin Mining a affirmé que la Cour d’appel n’avait pas correctement appliqué celui de la « possibilité raisonnable » quant aux exigences pour l’obtention de l’autorisation, de sorte qu’elle avait effectivement « allégé le fardeau du demandeur » et que, par conséquent, l’autorisation de poursuivre le recours collectif envisagé n’aurait pas dû être accordée.
Arguments du demandeur
Dans ses observations écrites en réponse, le demandeur a souligné l’utilisation par la Cour de première instance d’interprétations incorrectes et trop restrictives des termes « changement », « activité commerciale », « exploitation » et « capital ». Il a plutôt plaidé en faveur de la conclusion rendue par la Cour d’appel, selon laquelle le concept de « changement important » est flexible et n’est pas assujetti à un « critère de ligne très nette », et a maintenu que l’approche flexible et élargie adoptée par la Cour d’appel devrait être confirmée.
Le demandeur a également affirmé que les arguments de Lundin Mining relatifs à la distinction du « changement important » en se fondant sur le fait qu’il soit « interne » ou « externe » n’étaient pas pertinents.
Enfin, le demandeur a contesté la suggestion selon laquelle la Cour d’appel aurait « allégé » le fardeau qui incombe aux parties demanderesses qui demandent une autorisation en vertu des paragraphes 138.3(4) et 138.8(1) de la Loi sur les valeurs mobilières. Il a fait valoir que le processus de demande d’autorisation était censé être peu contraignant et ne pas nécessiter une analyse rigide. Selon lui, c’est donc à juste titre que la Cour d’appel a autorisé la poursuite du recours collectif.
Catégories de questions posées par le tribunal
Lors de la présentation de leurs observations par les parties, le tribunal a posé environ 80 questions, portant notamment sur les points suivants :
Distinction entre un « changement important » et un « fait important » : La distinction entre « changement important » et « fait important » a été un élément clé. La CSC a interrogé Lundin Mining sur l’accessibilité des renseignements publics par rapport aux renseignements privés (c’est-à-dire l’information connue uniquement de l’émetteur). Indiquant qu’un « changement important » est fondé sur des renseignements privés alors qu’un « fait important » est fondé sur des renseignements publics ou privés, le juge Rowe a cherché à savoir si Lundin Mining, dans ses observations, confondait les deux définitions. Dans un même temps, les questions posées à l’intention du demandeur ont plutôt porté sur les facteurs qui différencient un « changement important » d’un « fait important ».
Interprétation plausible : La CSC a examiné l’aspect « interprétation plausible » du critère applicable pour l’autorisation de poursuivre. Cela a soulevé la question de savoir si la Cour devrait adopter une approche unique en matière d’interprétation, et si une telle approche aurait pour effet de rehausser le seuil requis pour l’octroi de l’autorisation. En outre, la Cour a également cherché à déterminer si l’argument de Lundin Mining suggérait que le critère était fondé sur l’application plausible des faits, alors que l’interprétation juridique devait être évaluée selon un critère fondé sur la norme de la décision correcte.
Contextualiser la divulgation : La CSC a également posé au demandeur des questions sur la façon de trouver un juste équilibre entre la protection des investisseurs et l’imposition d’obligations de divulgation contraignantes aux émetteurs. La CSC s’est particulièrement intéressée à la question de savoir à partir de quel moment les discussions internes tenues au sein d’une société publique pouvaient atteindre le seuil faisant d’elles un « changement important ».
Regard vers l’avenir
Au moment de la publication du présent rapport, la CSC poursuit son examen des arguments des parties en ce qui concerne cet aspect important de la législation canadienne sur les valeurs mobilières.
Une décision de la CSC de définir plus largement le concept de « changement important » pourrait imposer aux émetteurs des obligations plus lourdes en matière de divulgation, lesquelles toucheraient un éventail plus vaste d’activités parmi leurs opérations commerciales. Cela pourrait éventuellement conduire à ce qu’un plus grand nombre de demandeurs remplissent le critère pour obtenir une autorisation en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières et, par conséquent, à une augmentation du nombre de recours collectifs liés aux valeurs mobilières.
Par ailleurs, une définition plus restrictive pourrait imposer au public des obligations plus lourdes en matière d’examen de la divulgation.
Quelle que soit l’issue de l’affaire, la décision de la CSC ne manquera pas d’affecter le comportement des émetteurs, de même que les attentes du public et la confiance qu’il accorde à la divulgation d’informations.
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