Écrit par Christine Viney, Ethan Schiff et Sidney Brejak
L’obligation du demandeur d’établir « un certain fondement factuel » pour une question commune est reconnue comme étant un critère peu exigeant. Plusieurs cours d’appel canadiennes ont toutefois confirmé qu’un « critère à deux volets » constituait le cadre d’analyse standard. Selon le critère à deux volets, les demandeurs doivent non seulement démontrer que les questions communes proposées peuvent être tranchées pour l’ensemble du groupe, mais ils doivent également établir, en fait, l’existence des questions proposées. Le critère à deux volets se distingue du critère à un volet qui examine seulement si la question commune proposée peut être tranchée pour l’ensemble du groupe.
L’exigence supplémentaire de prouver l’existence de questions communes proposées signifie que les demandeurs doivent présenter des preuves factuelles suffisantes à l’étape de la certification. À l’avenir, la représentation des demandeurs pourra mettre en œuvre des stratégies innovantes pour rassembler les preuves à cet effet. L’une des possibilités, que nous examinons ci-dessous, consiste à demander une communication préalable à la certification.
Contexte du critère à deux volets
Le débat sur le critère à un volet et le critère à deux volets est apparu à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans Pro‐Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57. Dans cette affaire, le juge Rothstein a déclaré qu’« établir la communauté des questions n’exige pas la preuve que les actes allégués ont effectivement eu lieu; à ce stade, il faut plutôt établir que les questions soulevées sont communes à tous les membres du groupe ». Les demandeurs se sont appuyés sur cette déclaration pour arguer que les questions communes proposées n’ont pas besoin d’être fondées sur des faits pour permettre la certification.
Dans Kalra v. Mercedez Benz, 2017 ONSC 3795, la Cour a interprété Pro-Sys comme établissant un critère à un seul volet pour l’analyse de toutes les questions communes, peu importe si le demandeur a présenté ou non une preuve de l’existence des questions communes proposées. D’autres tribunaux ontariens ont soutenu qu’il fallait un certain fondement factuel pour établir l’existence de la question commune (voir, par exemple, Kuiper v. Cook (Canada) Inc., 2020 ONSC 128). Dans Jensen c. Samsung Electronics Co. Ltd., 2023 CAF 89, la Cour d’appel fédérale a confirmé le critère à deux volets en 2023.
Le débat a été tranché en Ontario par la Cour d’appel dans l’affaire Lilleyman v. Bumble Bee Foods LLC, 2024 ONCA 606 (la permission d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada a été refusée le 27 mars 2025), une affaire alléguant un complot pour fixer le prix du thon en conserve. En confirmant le rejet de la certification, la Cour d’appel a confirmé à l’unanimité un critère exigeant la preuve de l’existence des questions communes proposées. Malgré le succès d’actions parallèles en matière de concurrence aux États-Unis, les demandeurs n’ont pas réussi à produire une preuve suffisante de l’existence d’un complot au Canada au sujet du thon en conserve, ce qui a empêché la certification de l’action. La Cour a décrit son approche comme relevant [Traduction] d’« une question de logique et de bon sens ».
Collecte de preuves préalable à la certification
Pour obtenir les éléments de preuve nécessaires pour prouver l’existence d’une question commune, les demandeurs peuvent notamment demander une communication préalable à la certification. Une telle demande a récemment été examinée par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans l’affaire MacKenzie v. The Calgary Board of Education, 2024 ABKB 305.
Dans cette affaire, les trois représentants des demandeurs allèguent qu’ils ont été victimes d’agressions sexuelles et physiques commises par d’anciens enseignants. Avant l’audience de certification, ils ont demandé au Calgary Board of Education de leur communiquer des preuves documentaires et verbales qui, selon eux, étaient nécessaires pour établir un certain fondement factuel de l’existence d’une « question commune ». Les défendeurs ont fait valoir que les preuves demandées portaient sur le fond de l’affaire et n’étaient pas pertinentes aux fins de certification.
La Cour a conclu que, même si les renseignements demandés peuvent être « utiles » aux demandeurs à l’étape de la certification, la plupart de ceux-ci ne sont pas nécessaires pour « statuer équitablement » sur la certification, la Cour estimant qu’il s’agit d’un exercice visant à déterminer le « tribunal approprié » pour statuer sur le fond. La Cour a relevé deux exceptions limitées concernant le mandat et les activités des auteurs présumés des abus.
En décidant que la demande de communication préalable à la certification n’était pas nécessaire, la Cour a soulevé des préoccupations liées au retard, en particulier parce que l’audience de certification elle-même devait avoir lieu dans moins de trois mois. La Cour a statué qu’elle devait soupeser les obligations de communication préalable à la certification par rapport au risque de retard indu, et que ce facteur pesait contre toute ordonnance de production anticipée. Cet argument pourrait inciter les demandeurs à prendre des dispositions plus tôt pour obtenir une communication préalable à la certification.
Regard vers l’avenir
Les demandeurs peuvent recourir à la communication préalable à la certification, entre autres stratégies possibles, pour obtenir les éléments de preuve nécessaires pour prouver l’existence des questions communes qu’ils soumettent à la certification. À l’avenir, nous nous attendons à ce que les tribunaux examinent ces stratégies à la lumière du critère à deux volets et appliquent un critère de pondération qui soupèse l’importance des renseignements demandés par les demandeurs dans le cadre d’une détermination équitable de l’existence de questions communes par rapport à d’autres facteurs relatifs à chaque recours collectif proposé.
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