Écrit par Dan Chubb, Denise Bright, Luke Stretch et Kendall Pearce
Dans l’affaire Flowers v Persist Oil and Gas Inc., 2025 ABKB 1421, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta rappelle aux propriétaires d’immeubles commerciaux, aux locataires et à leurs prêteurs respectifs l’intersection croissante entre l’immobilier et l’économie numérique. Dans sa décision, la Cour du Banc du Roi a estimé que le minage de bitcoins par le locataire ne constituait pas une utilisation permise aux termes d’un bail de surface, et a de ce fait accordé une injonction permanente exigeant du locataire qu’il retire le matériel de minage de bitcoins.
Résumé de la décision
Roy Flowers (Flowers), à titre de propriétaire, et Persist Oil and Gas Inc. (Persist), à titre de locataire, étaient parties à un bail de surface (le Bail) visant des terrains d’environ 3,14 acres appartenant à Flowers et situés dans le comté de Rocky View en Alberta (les Lieux).
L’utilisation prévue aux termes du Bail était [TRADUCTION] « toutes fins et utilisations qui peuvent être nécessaires à l’exploration, à la mise en valeur et à la production de pétrole, de gaz, d’hydrocarbures connexes ou de substances produites en association avec ceux-ci, y compris le droit de poser un ou plusieurs pipelines, de construire et d’exploiter une installation de compression de gaz naturel non corrosif, et de mener des activités de réhabilitation et de remise en état ».
Avant avril 2021, Persist exploitait une station de compression sur les Lieux produisant exclusivement du gaz naturel. Mais à partir d’avril 2021, en raison des faibles cours du gaz naturel, Persist a installé des génératrices, des ordinateurs et d’autres équipements sur son site de compression sur les Lieux et utilisait de temps en temps l’électricité des génératrices alimentées au gaz naturel pour le minage de bitcoins.
Flowers s’est opposée au minage et a adressé plusieurs lettres au mis en cause pour exiger la cessation de cette activité. À la suite de discussions avec le comté de Rocky View, Flowers a reçu un avis officiel de non-conformité indiquant que l’activité de minage de bitcoins de Persist ne disposait pas des permis de zonage et d’aménagement requis.
À l’expiration du Bail le 12 novembre 2019, Persist et Flowers n’ayant pas pu s’entendre sur les conditions de son renouvellement, le Land and Property Rights Tribunal (LPRT, le tribunal des droits fonciers et immobiliers) a rendu une décision accordant un droit d’entrée à Persist. Cette décision était précisément fondée sur l’article 144(1)(a) de la Environmental Protection and Enhancement Act (EPEA), qui prévoit qu’un bail de surface ne peut être résilié tant qu’un certificat de remise en état n’a pas été délivré, ce qui n’avait pas encore été fait dans le cas du bail de Persist. En réponse à l’argument de Flowers selon lequel les activités de minage de bitcoins de Persist contrevenaient aux conditions du Bail, le LPRT a déclaré que ces allégations ne relevaient pas de sa compétence et qu’elles faisaient l’objet d’une demande concomitante devant la Cour du Banc du Roi de l’Alberta.
Flowers a saisi la Cour du Banc du Roi de l’Alberta pour obtenir une injonction permanente contre Persist ainsi que la restitution du produit de l’activité de minage de bitcoins.
Dans sa décision, le juge Rickards a conclu, à titre préliminaire, que l’EPEA conférait un droit légal à Persist de demeurer sur les Lieux malgré l’expiration du Bail, et que ce droit a été consolidé par l’ordonnance du LPRT accordant le droit d’entrée. Ce droit de demeurer sur les Lieux n’a toutefois pas modifié les autres conditions du Bail. Le juge Rickards a ensuite examiné les conditions du Bail et a conclu que, dans son sens ordinaire, la disposition du Bail relative à l’utilisation prévue ne comprenait pas les activités de minage de bitcoins, car elles sont complètement distinctes des activités d’exploitation pétrolière, gazière et d’hydrocarbures connexes. L’argument de Persist selon lequel l’utilisation de l’électricité produite à partir du gaz naturel rendait les activités de minage de bitcoins accessoires aux activités d’exploitation pétrolière et gazière a été rejeté. Pour ce motif, la cour a tranché que Persist violait, et ce depuis avril 2021, les conditions du Bail relatives à l’utilisation prévue.
En l’absence d’éléments de preuve suffisants, le juge Rickards a refusé de se prononcer sur la question de savoir si l’activité minière de Persist constituait une nuisance pour la propriété adjacente de Flowers ou si Persists détenait les approbations requises pour son activité de minage de bitcoins. L’avis de non-conformité et d’autres interventions du comté de Rocky View portaient à croire que ce n’était pas le cas et que Flowers s’exposait à des pénalités administratives si le minage se poursuivait.
Ayant conclu à la violation du Bail, le juge Rickards a tranché qu’une injonction était la réparation appropriée pour les raisons suivantes : 1) les dommages-intérêts pécuniaires ne pouvaient pas remédier adéquatement à la violation; et 2) les principes d’equity penchaient en faveur de Flowers, en tant que partie non défaillante. Citant l’affaire Société des loteries de l’Atlantique c. Babstock2 pour étayer le principe selon lequel la restitution en cas de violation de contrat ne devrait être possible que dans des cas exceptionnels où les autres mesures de réparation sont inadéquates, le juge Rickards a rejeté la demande de restitution des revenus du minage de bitcoins présentée par Flowers. Il a estimé qu’une injonction permanente constituait une réparation adéquate pour la violation en cours, tandis que la violation historique qui dure depuis avril 2021 pourrait être réparée en adjugeant des dommages-intérêts en fonction de la contrepartie raisonnable qui aurait pu être exigée pour permettre à Persist de mener des activités de minage de bitcoins.
À retenir
Cette décision est un rappel important, à plusieurs titres, à l’intention des propriétaires, des locataires et de leurs prêteurs respectifs, tant dans le secteur de l’énergie que dans le secteur immobilier commercial traditionnel :
- Utilisation non prévue : Les clauses d’utilisation prévue constituent une partie essentielle des baux et doivent être examinées dans le détail tant au cours de la négociation du bail qu’à tout moment où un locataire envisage d’élargir son utilisation ou de mener une nouvelle activité commerciale sur un immeuble loué. Sauf ambiguïté, les tribunaux interprètent toute clause d’utilisation prévue dans son sens ordinaire. En l’espèce, l’utilisation prévue d’exploitation pétrolière et gazière n’était pas assez large pour couvrir l’utilisation de l’électricité générée à partir de ce gaz aux fins d’une autre activité.
- Mesure injonctive : Une injonction peut être accordée lorsqu’un locataire refuse de mettre fin à une utilisation non prévue aux termes du bail. Une injonction permanente constitue une mesure de réparation appropriée, car laisser le locataire poursuivre une utilisation non prévue reviendrait à permettre que la violation du bail perdure. Lorsqu’il s’agit d’une violation en cours à l’égard de laquelle des dommages-intérêts ne sauraient constituer une réparation adéquate, une injonction permet de faire respecter les obligations contractuelles.
- Expiration du bail : La Cour a confirmé qu’un régime légal peut prolonger la validité d’un bail même après son expiration. Plus précisément, en vertu de l’article 144 de l’EPEA, la location aux termes d’un bail de surface, au sens de l’EPEA, est prolongée et le bail demeure en vigueur jusqu’à ce qu’un certificat de remise en état ait été délivré.
- Dommages-intérêts négociés : Lorsque le demandeur qui obtient gain de cause pour violation de contrat ne peut pas facilement démontrer qu’il a subi un préjudice pécuniaire, comme dans le cas de l’utilisation non prévue historique des Lieux, des dommages-intérêts négociés peuvent être accordés pour empêcher un défendeur d’obtenir un avantage indu pour lequel il n’a pas négocié. Il n’est pas nécessaire de prouver le préjudice financier réellement subi, car la négociation des dommages-intérêts vise à indemniser le demandeur à la mesure de la valeur du droit dont il a été lésé.
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1 Flowers v Persist Oil and Gas Inc., 2025 ABKB 142 (en anglais).
2 2020 CSC 19
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