Écrit par Lorelei Graham
De l’autre côté de l’Atlantique, l’Union européenne (UE) et ses États membres ont également encouragé les innovations agrotechnologiques adaptées au climat, mais leur approche en matière d’incitatifs de propriété intellectuelle (PI) a été quelque peu différente. L’UE s’est fixé des objectifs climatiques ambitieux (comme atteindre la neutralité climatique d’ici 2050) et a lancé le « Green Deal » européen, un vaste programme politique visant à soutenir les technologies durables. Si le financement et la réglementation (comme le soutien aux pratiques agricoles durables) sont des éléments importants de la stratégie de l’UE, on y reconnaît également l’importance des droits de PI dans la promotion de l’innovation. Toutefois, contrairement au Canada ou au récent programme pilote des États-Unis, l’Europe n’a pas mis en place de « procédure verte » unifiée pour l’examen des demandes à l’Office européen des brevets (OEB).
Au contraire, l’OEB, chargé de délivrer des brevets pouvant couvrir la plupart des pays membres de l’UE, propose des options d’accélération sans pour autant privilégier les technologies vertes. Tout demandeur de brevet (dans le domaine de l’agrotechnologie ou autre) peut demander un traitement accéléré par l’intermédiaire de programmes tels que PACE (une procédure de traitement accéléré sur demande) ou au moyen du Patent Prosecution Highway (PPH) s’il bénéficie d’un examen favorable d’un autre pays. Ces procédures sont indépendantes du type de technologie, ce qui signifie qu’un brevet portant sur un système d’irrigation intelligent sur le plan climatique ne bénéficie d’aucune priorité particulière par rapport à une autre invention, à moins que l’inventeur ne demande expressément une accélération du processus (et même dans ce cas, cette demande dépend du volume de travail de l’OEB). La philosophie de l’UE est davantage axée sur l’égalité entre les demandeurs : l’OEB se concentre sur la réduction des retards en général et sur l’amélioration globale de la rapidité et de la qualité de ses services, plutôt que de consacrer un programme uniquement aux technologies vertes.
Soutien aux brevets pour l’innovation verte dans l’agriculture
Incitatif | Office de la propriété intellectuelle du Canada | United States Patent and Trademark Office | Office européen des brevet |
Brevets spécifiques aux technologies vertes | Oui | Non | Non |
Procédure accélérée | Oui | Non | Oui |
Frais supplémentaires | Non | Oui | Non |
Cela dit, plusieurs pays européens ont individuellement mis en place leur propre procédure accélérée des brevets pour les innovations vertes. Le Royaume-Uni a été un pionnier dans ce domaine. L’Intellectual Property Office (office de la PI) du Royaume-Uni a lancé un programme intitulé « Green Channel » en mai 2009 afin d’accélérer les inventions respectueuses de l’environnement. Dans le cadre de ce programme, si un inventeur présente une brève déclaration d’un avantage pour l’environnement (par exemple, une technologie agricole qui réduit le ruissellement des engrais), il peut demander une recherche et un examen accélérés de sa demande de brevet. Ce programme a été très populaire : environ 20 % des demandeurs de brevet admissibles au Royaume-Uni s’en sont prévalus, ce qui représente un taux d’utilisation beaucoup plus élevé qu’au Canada ou aux États-Unis. De même, d’autres offices nationaux européens comme ceux de l’Allemagne, de la France et d’autres pays ont institué divers programmes ou projets pilotes d’accélération des brevets écologiques au cours des 10 dernières années (dans le cadre d’une tendance mondiale où au moins une douzaine d’offices de propriété intellectuelle dans le monde ont mis en place des procédures accélérées pour les brevets écologiques depuis 2009). Ces programmes nationaux varient en termes d’exigences et d’utilisation, mais le dénominateur commun est qu’ils encouragent les innovations écologiques locales en accélérant les brevets.
Focalisation sur les technologies climatiques
Les politiques de l’UE se focalisent également sur l’innovation ouverte et le partage des connaissances en matière de technologies climatiques. La Commission européenne a étudié différents moyens de concilier la protection de la PI et la nécessité d’une diffusion rapide des solutions écologiques. Si une protection forte par des brevets peut inciter à la recherche et au développement (en récompensant les inventeurs par des droits exclusifs), l’UE est consciente qu’une propriété intellectuelle trop restrictive pourrait également ralentir l’adoption de technologies cruciales au-delà de ses frontières. Par exemple, l’UE dispose de mécanismes d’octroi de licences de brevets et soutient généralement des initiatives telles que WIPO GREEN, une plateforme qui met en relation les fournisseurs de technologies vertes (et leurs droits de PI) avec ceux qui recherchent des solutions. Des discussions se tiennent également en Europe sur la possibilité de faciliter l’accès des pays en développement aux technologies vertes essentielles, et même sur l’idée de communautés de brevets ou d’engagements dans le cadre desquels les entreprises accordent volontairement des licences libres de droits sur des brevets verts afin de diffuser plus rapidement des solutions adaptées au climat. Il ne s’agit pas de programmes officiels de l’UE, mais ils influencent la manière dont les institutions de recherche et les entreprises européennes en démarrage envisagent la PI. Cette stratégie peut parfois consister à partager ouvertement certaines innovations (surtout si elles sont financées par des fonds publics), tout en brevetant d’autres inventions qui nécessitent des investissements privés.
Ce à quoi peuvent s’attendre les entreprises en démarrage en Europe
Concrètement, à quoi peut s’attendre une jeune entreprise agrotechnologique canadienne ou américaine en Europe? En cas de dépôt d’une demande de brevet auprès de l’OEB, l’entreprise ne trouvera pas de procédure accélérée spéciale pour les innovations vertes à l’Office, mais elle pourra toutefois demander un examen accéléré (PACE) gratuitement. En outre, avec le nouveau système de brevet unitaire de l’UE (lancé en 2023), un brevet peut être délivré une seule fois et être valable dans de nombreux pays membres de l’UE, ce qui permet aux innovateurs de protéger plus facilement et à moindre coût leurs inventions à l’échelle européenne. Cette amélioration générale du monde des brevets est avantageuse pour les innovateurs de l’agrotechnologie, car elle simplifie leur stratégie de PI dans l’UE. Par conséquent, même si l’Europe n’appose pas de label vert sur ses procédures de délivrance de brevet, elle s’efforce de rationaliser les procédures de PI et de soutenir la R&D verte par du financement. Le résultat : les entreprises agrotechnologiques en démarrage et les instituts de recherche européens sont incités à innover en faveur de la durabilité, avec l’appui d’un solide système de PI (bien que non spécifiquement préférentiel).
En résumé
Contrairement aux États-Unis, qui possédaient un programme ciblé et qui l’ont ensuite annulé, et au Canada, qui a gardé le sien, l’approche de l’Europe est davantage intégrée dans le système global. Cette diversité d’approches donne le point de départ de la partie suivante de notre discussion : quelles pourraient être les répercussions du récent changement de politique du United States Patent and Trademark Office sur les stratégies dans les pays comme le Canada, et à l’échelle mondiale, sur la course à l’innovation dans le domaine de l’agrotechnologie?
La partie II de notre série Procédures accélérées et divergences vertes s’intitule Coup de frein sur l’innovation : ce que la fin du programme vert de l’USPTO signifie pour l’agrotechnologie.
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