Écrit par Jane Helmstadter, Andrew Jeanrie et Meg Tweedlie
Dans le monde de l’immobilier, la juste valeur marchande (JVM) est couramment utilisée pour décrire la valeur des biens immobiliers ou des loyers exigibles. Or, on oublie peut-être souvent que ce terme peut revêtir différents sens selon les gens. Ainsi, pour certains, il peut s’agir du prix que quelqu’un serait disposé à payer pour le bien-fonds dans les conditions d’utilisation actuelles. Pour d’autres, la JVM peut plutôt correspondre au prix qu’une personne consentirait à payer pour ce même bien-fonds selon son utilisation optimale, comme aux fins de réaménagement. Dans le cas d’autres actifs uniques, ce terme peut encore signifier autre chose, tel que la valeur de remplacement. Par exemple, lorsqu’un bien-fonds est destiné à être vendu à un voisin dans le cadre d’un lotissement et que ce voisin peut être prêt à payer une prime pour se le procurer, cette prime fait-elle alors partie de la JVM et devrait-elle être calculée avec une prime de risque ou à la date à laquelle la valeur de développement est obtenue?
La question suivante s’impose : quelle est la bonne approche?
Par défaut, l’évaluateur se tournerait vers les Normes uniformes de pratique professionnelle en matière d’évaluation au Canada (les NUPPEC). La JVM y est définie comme étant : « le prix le plus probable, à une date donnée, en espèces, ou en termes équivalents à des espèces, ou en d’autres termes divulgués précisément, pour lequel les droits de propriété spécifiés devraient être vendus après exposition raisonnable sur un marché concurrentiel dans toutes les conditions requises pour une vente équitable, l’acheteur et le vendeur agissant chacun avec prudence, en connaissance de cause et dans leur propre intérêt, dans l’hypothèse où aucun d’eux n’est soumis à des contraintes1».
Autrement dit, une évaluation de la JVM devrait, au départ, être fondée sur l’hypothèse de l’utilisation optimale du bien-fonds. À partir de là, elle tiendrait compte du temps et des risques associés au processus d’admissibilité requis pour arriver à une utilisation optimale (y compris le fait que celle-ci pourrait ne pas être atteinte). Ce travail se fait souvent avec le concours d’un planificateur qui évaluera le site dans le contexte des politiques provinciales et des plans officiels locaux.
Bien que la définition figurant dans les NUPPEC semble assez claire, il ne s’agit pas là de l’approche universelle, comme en témoigne clairement le récent jugement rendu par la Cour d’appel de l’Ontario (la CAO) dans l’affaire 1785192 Ontario Inc. v. Ontario H Limited Partnership (1785192 Ontario)2.
Dans cette affaire, 1785192 Ontario Inc. et 1043303 Ontario Ltd. (collectivement appelées le locateur) étaient les entreprises locatrices de deux immeubles commerciaux situés à Whitby, en Ontario, que louait Ontario H Limited Partnership (le locataire). Les baux contenaient chacun une option d’achat des immeubles du locateur et renfermaient un mécanisme de fixation du prix auquel le locateur serait tenu de les vendre. La disposition prévoyait que le prix d’achat serait [TRADUCTION] « égal à la moyenne de la juste valeur marchande des locaux loués déterminée par deux évaluateurs, dont l’un aura été choisi par le locateur et l’autre, par le locataire ».
Le locataire a en fin de compte exercé les deux options d’achat et les parties ont embauché des évaluateurs, comme requis. Le locateur a fait appel à Colliers International Group Inc., qui a évalué les immeubles à 31 200 000 $ au total dans l’hypothèse d’une utilisation optimale, tandis que le locataire a retenu les services d’Equitable Value Inc., lequel les a globalement évalués à 11 746 000 $ dans l’hypothèse du maintien du zonage actuel. Chacune des parties a initialement contesté l’évaluation de l’autre, mais le locateur a ultimement accepté celle du locataire, fixant le prix d’achat au point médian des deux. Le locataire a néanmoins continué à s’opposer à l’évaluation du locateur, ne virant que 11 746 000 $ à l’avocat de ce dernier à la clôture, si bien que locateur a refusé de clore le tout au motif que le prix d’achat n’avait pas été acquitté.
Au procès, le locataire a fait valoir que l’évaluation du locateur était surestimée parce qu’elle reposait sur des hypothèses spéculatives et erronées quant à la façon dont les immeubles pourraient être aménagés en cas de rezonage. Toutefois, le juge de première instance, en se référant aux NUPPEC, a conclu que les baux prévoyaient un mécanisme qui était censé tenir compte du fait que chaque partie pourrait chercher à obtenir une évaluation selon les hypothèses raisonnables qui lui seraient les plus favorables. Ainsi, chaque partie avait respecté le mécanisme de JVM figurant dans les baux et disposait d’une évaluation valide, de sorte que le prix d’achat des immeubles correspondait bel et bien au point médian des deux évaluations et le locateur avait refusé à juste titre de clore la transaction. En appel, la CAO a souscrit à la conclusion du juge précité selon laquelle ce qui constitue une évaluation valide est une question de fait et, en l’absence d’une erreur manifeste et dominante, elle ne voyait aucun fondement lui permettant d’écarter cette conclusion.
Points à retenir
Lorsqu’il est question de la détermination de la JVM, les professionnels de l’immobilier devraient porter une attention particulière à l’intention dans ce qu’ils rédigent. La définition de la JVM et le mécanisme d’estimation de celle-ci doivent être clairement énoncés. Si l’intention est que la JVM reflète l’utilisation « telle quelle » du bien immobilier et l’état dans lequel il se trouve, il faudrait le préciser. Si elle est plutôt de rendre compte de son utilisation optimale, alors la définition prévue dans les NUPPEC devrait être employée, peut-être avec les modifications expressément applicables à la transaction concernée. En plus d’une définition claire, il serait prudent d’inclure un mécanisme de règlement des différends pour déterminer la JVM, de manière à établir un processus de résolution propre et efficace des situations dans lesquelles la définition de la JVM ne fournit pas de réponse claire et les évaluations divergent fortement. La prise de telles mesures permettrait aux parties d’éviter une transaction ratée et un litige potentiellement coûteux, comme on l’a vu dans l’affaire 1785192 Ontario.
Veuillez noter que cette publication présente un aperçu des tendances juridiques notables et des mises à jour connexes. Elle est fournie à titre informatif seulement et ne saurait remplacer un conseil juridique personnalisé. Si vous avez besoin de conseils adaptés à votre propre situation, veuillez communiquer avec l’un des auteurs pour savoir comment nous pouvons vous aider à gérer vos besoins juridiques.
Pour obtenir l’autorisation de republier la présente publication ou toute autre publication, veuillez communiquer avec Amrita Kochhar à kochhara@bennettjones.com.