Écrit par Quentin Vander Schueren, Sabrina A. Bandali, Alison FitzGerald, Jessica Horwitz et George Reid
La réélection du président Trump marque le retour d’une ère de perturbations et de volatilité des échanges commerciaux ayant pour cause les tarifs d’importation américains sur les produits en provenance du Canada et d’autres pays. Après des semaines de spéculations, le président Trump devait dévoiler de nouveaux tarifs ou d’autres mesures de restriction du commerce dès son investiture le 20 janvier 2025 ou dans les jours suivants. Dans le cadre d’une démarche coordonnée avec les gouvernements provinciaux faisant de la défense des intérêts du pays sa priorité, le gouvernement du Canada se dit prêt à exercer des représailles tarifaires sur les importations américaines et étudie des moyens supplémentaires et nouveaux de répondre aux mesures américaines attendues. L’annonce de la réponse canadienne ne devrait pas tarder une fois que les mesures américaines seront connues.
Bien que personne de part et d’autre de la frontière ne sache encore exactement quels produits seront touchés par les tarifs ou les mesures restrictives, ce billet se veut un rappel des leçons tirées en général des derniers différends tarifaires entre les États-Unis et le Canada et propose des mesures concrètes que les importateurs et les exportateurs canadiens pourraient tout de suite prendre pour gérer les risques commerciaux et réglementaires.
Consultez notre trousse de diagnostic pour se préparer aux changements tarifaires (en anglais) conçue pour aider les entreprises à évaluer si elles sont prêtes pour les tarifs et les autres mesures commerciales qui s’annoncent.
Leçons tirées : Le manuel de la « guerre commerciale » 2018-2019
De 2018 à 2019, les États-Unis ont imposé des tarifs sur diverses exportations canadiennes, déclenchant des mesures de rétorsion du gouvernement canadien. Pour nombre d’entreprises, l’imposition soudaine de tarifs a tiré la sonnette d’alarme, soulignant l’importance d’une meilleure visibilité de la chaîne d’approvisionnement, de plus de précision dans le libellé des contrats et d’une gestion stratégique des stocks.
Pour en savoir plus sur le différend commercial entre le Canada et les États-Unis de 2018 à 2019, consultez nos précédents articles de blogue :
- Le Canada s’oppose aux tarifs douaniers américains par des mesures qui lui sont propres (30 juin 2018)
- Contrer les stratégies d’atténuation des contre-mesures pour les importateurs (18 juillet 2018)
- Le Canada est obligé de riposter de nouveau aux tarifs américains sur l’aluminium (14 août 2020)
À quoi s’attendre comme réponse du gouvernement canadien
Représailles tarifaires
Le gouvernement canadien a exprimé son intention d’imposer des surtaxes de rétorsion à l’importation sur les exportations américaines vers le Canada. La possibilité d’imposer des restrictions quantitatives et/ou des surtaxes à l’exportation sur des produits canadiens qui revêtent une importance stratégique pour les États-Unis est maintenant également envisagée. Par le passé, les représailles du Canada visaient surtout les produits et les biens de consommation provenant de districts électoraux clés du Congrès américain. Les importateurs de produits de ces districts devraient se préparer à des hausses des tarifs. Cette fois-ci, la possibilité d’utiliser les ressources énergétiques et les minéraux critiques du Canada comme moyen de pression sur le plan des exportations a aussi été évoquée, bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité au sein de la classe politique nationale.
Consultation publique
Avant d’appliquer des contre-mesures, les autorités canadiennes peuvent (mais n’y sont pas tenues) tenir des consultations publiques. Une consultation sur de nouvelles mesures tarifaires ou surtaxes porterait normalement sur une liste préliminaire de produits visés par les tarifs proposés et un calendrier de leur entrée en vigueur. Les entreprises doivent être attentives aux annonces officielles, en particulier les avis de consultation publiés par Affaires mondiales Canada et le ministère des Finances, et se préparer à soumettre des commentaires témoignant des possibles répercussions commerciales ou des préoccupations liées à la chaîne d’approvisionnement pour les entreprises canadiennes. De telles consultations, le cas échéant, se dérouleraient sur une courte période. Avant d’imposer une surtaxe de rétorsion sur l’acier, l’aluminium et d’autres produits américains en 2018, les consultations tenues par le gouvernement n’avaient duré que deux semaines.
Processus de remise
Comme en 2018, le Canada pourrait accorder des exemptions ou des remises limitées aux entreprises canadiennes si les contre-mesures font peser un tort disproportionné à l’industrie canadienne ou aux chaînes d’approvisionnement essentielles. Par exemple, les produits importés en vertu de contrats conclus avant une certaine date peuvent bénéficier d’exemptions tarifaires. Le processus de remise récemment mis en place à la suite des surtaxes imposées sur les importations de véhicules électriques et de produits de l’acier et de l’aluminium en provenance de la Chine sert d’exemple utile. En effet, des exemptions sont prévues pour des produits qui ne peuvent pas être obtenus sur le marché intérieur, qui relèvent de contrats préexistants, ou dont les caractéristiques exceptionnelles ont une incidence sur l’économie. Des critères semblables et un processus de demande de remise rigoureux s’appliqueraient probablement à toute nouvelle contre-mesure. Les importateurs devront rassembler des preuves et démontrer de manière concluante pourquoi une remise est justifiée.
Comment se préparer : stratégies et outils pratiques pour les exportateurs et les importateurs canadiens
Les mesures de restriction du commerce peuvent perturber les chaînes d’approvisionnement, provoquer une hausse des coûts, réduire la demande et nuire à la rentabilité des exportateurs et des importateurs. Une planification adéquate est donc indispensable pour réduire ces risques au minimum. Voici des stratégies clés que les entreprises canadiennes devraient garder à l’esprit pour s’adapter à la conjoncture.
Gestion des contrats
Les importateurs et les exportateurs canadiens doivent s’assurer que leurs contrats sont libellés de sorte à composer avec les changements soudains de la politique commerciale, dont l’imposition de tarifs nouveaux ou accrus et d’autres mesures commerciales, surtout pour les produits avec des délais d’approvisionnement plus longs. Vérifiez si vos contrats incluent des clauses sur les éléments suivants :
- Perturbation du commerce : Précisez comment les événements imprévus comme des tarifs supplémentaires ou d’autres mesures réglementaires seront gérés. Par exemple, prévoyez des clauses relatives au transfert des coûts, au prolongement des délais, à la renégociation ou à la résiliation du contrat et à la répartition de la responsabilité financière immédiate. Définissez des seuils clairs qui déclenchent votre clause relative à la perturbation du commerce et établissez des procédures de résolution (notamment une renégociation du contrat ou un partage des coûts).
- Modifications des coûts des matériaux : Prévoyez une clause d’ajustement des prix ou de renégociation des modalités sans pénalité pouvant être déclenchée en cas de hausse importante du coût des matières premières ou des produits finis résultant de l’imposition de tarifs ou d’autres mesures commerciales. Incluez des dispositions de résiliation en cas d’échec de la renégociation.
- Répartition des risques : Répartissez clairement les responsabilités en cas de tarifs, de droits ou de surtaxes supplémentaires. En sachant catégoriquement qui paie pour les hausses de coûts imprévues, on réduit la probabilité de conflits et de différends coûteux.
En plus de ces clauses, pensez à inclure des dispositions plus générales sur les cas de force majeure ou les changements de lois qui tiennent compte des changements réglementaires soudains. Pour en savoir plus sur l’interprétation et l’application des clauses de force majeure, consultez notre article intitulé Les clauses de force majeure et les répercussions de la pandémie de COVID-19 – Une évaluation des jugements de l’Ontario trois ans plus tard (24 mars 2023). Un contrat bien libellé permet aux importateurs et aux exportateurs de s’adapter rapidement à l’évolution du contexte commercial, surtout en période d’incertitude accrue.
Enfin, la souscription d’une assurance crédit commercial pourrait offrir une protection contre le risque de non-paiement par les clients, à condition que la garantie s’applique aux cas de non-paiement imputables à une mesure réglementaire ou commerciale adoptée par un État.
Atténuation des risques tarifaires
Pour les entreprises canadiennes qui importent des États-Unis (et qui pourraient bientôt subir les effets des représailles tarifaires et d’autres mesures commerciales canadiennes), il existe plusieurs mécanismes dans le cadre des programmes de promotion du commerce qui peuvent réduire ou retarder le paiement des droits ou des taxes :
- Classement tarifaire, établissement de la valeur et origine : Obtenir un classement exact de vos produits peut faire une réelle différence sur le taux de droit de douane. Combinées à une détermination adéquate de l’origine, comme la vérification de l’admissibilité des produits au traitement préférentiel en vertu d’un accord de libre-échange (ALE), et à une approche stratégique d’établissement de la valeur, ces mesures peuvent permettre de réaliser d’importantes économies. Il est essentiel d’archiver convenablement vos documents justificatifs, notamment les registres de fret, les bons de commande et les preuves d’origine. Vous pourriez en avoir besoin pour étayer vos demandes et vous prémunir contre des procédures de conformité coûteuses.
- Obtenir des conseils : Si vous avez des doutes sur le classement, la valeur ou l’origine de vos produits, l’obtention d’une décision anticipée (pour le classement tarifaire ou l’origine dans le cadre d’un ALE) ou d’une décision nationale des douanes (pour l’établissement de la valeur, l’origine préférentielle hors ALE ou le marquage) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) peut vous apporter des réponses et vous éviter de coûteuses réévaluations.
- Programme de report des droits : Le Programme de report des droits comprend plusieurs mécanismes qui permettent aux entreprises admissibles de reporter, de réduire ou d’éliminer le paiement des droits de douane et de certaines taxes sur les produits importés en vue de leur exportation ultérieure. Il s’agit notamment du Programme d’exonération des droits, du Programme de drawback et du Programme des entrepôts de stockage des douanes, chacun étant assorti de conditions d’admissibilité, de délais et d’exigences de tenue de registres spécifiques. Ce programme vise à soutenir les entreprises qui font du commerce international en allégeant le fardeau financier associé aux droits de douane sur les produits qui ne demeurent pas sur le marché intérieur.
- Produits détaxés : Certains produits sont admissibles à une exonération complète de TPS lorsqu’ils sont importés au Canada.
- Dispositions tarifaires spéciales : Certains produits peuvent bénéficier d’une exonération complète de droits s’ils sont importés aux fins de certaines applications finales, comme indiqué aux chapitres 98 et 99 du Tarif des douanes du Canada.
- Produits canadiens retournés et importations temporaires : Les produits provenant du Canada ou qui ont été importés et dédouanés au Canada, qui quittent le pays et y reviennent plus tard (p. ex., stocks retournés, biens d’équipement ou véhicules exportés temporairement pour être utilisés à l’étranger) peuvent être admissibles à un allégement fiscal partiel ou complet à leur retour au Canada. De même, les produits qui ne seront au Canada que temporairement peuvent être admissibles au report des droits et/ou des taxes à condition qu’ils soient réexportés dans un délai déterminé.
À noter que certains programmes d’allégement pourraient ne pas s’appliquer pour des surtaxes spéciales ou d’autres mesures commerciales restrictives, selon le type de mesure et l’autorité juridique compétente. Cela dit, les importateurs et les exportateurs gagneraient à examiner toutes les options qui s’offrent à eux pour ne laisser passer aucune possibilité d’allégement.
Prochaines étapes pratiques
La résurgence de la menace tarifaire souligne l’importance d’une planification proactive et de mesures de conformité rigoureuses. En s’inspirant des enseignements tirés de l’expérience de 2018 à 2019, les entreprises canadiennes peuvent mieux anticiper les mesures américaines et s’adapter efficacement aux contre-mesures canadiennes. Qu’il s’agisse de diversifier la chaîne d’approvisionnement, d’adapter les contrats ou d’obtenir des allégements grâce à des programmes fiscaux et douaniers, il n’est jamais trop tard pour prendre des mesures en vue d’atténuer le risque de dommages à long terme.
Mesures clés
- Surveillez les annonces du Bureau du représentant américain au commerce (USTR) concernant la liste définitive des tarifs et les dates d’entrée en vigueur. Surveillez les réponses du gouvernement canadien et les calendriers des consultations publiques.
- Effectuez un examen approfondi des documents sur votre chaîne d’approvisionnement et vos douanes.
- Passez en revue vos contrats commerciaux pour vous assurer qu’ils prévoient des dispositions en cas de changements de tarifs.
- Élaborez des stratégies de réduction des coûts en ayant notamment recours au Programme de report des droits de l’ASFC, pour obtenir un report, un allégement ou un remboursement de droits de douane et de certaines taxes sous certaines conditions.
- Vérifiez si vos produits importés sont admissibles aux mécanismes d’allégement tarifaire et fiscal, tels que les exonérations de TPS, les dispositions tarifaires spéciales, les dispositions sur les produits canadiens retournés ou les importations temporaires.
- Examinez vos chaînes d’approvisionnement et vos marchés cibles et évaluez les risques commerciaux connexes. La diversification des fournisseurs et des marchés peut atténuer l’incidence des nouveaux tarifs ou d’autres mesures commerciales.
Veuillez noter que cette publication présente un aperçu des tendances juridiques notables et des mises à jour connexes. Elle est fournie à titre informatif seulement et ne saurait remplacer un conseil juridique personnalisé. Si vous avez besoin de conseils adaptés à votre propre situation, veuillez communiquer avec l’un des auteurs pour savoir comment nous pouvons vous aider à gérer vos besoins juridiques.
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