Loi sur les valeurs mobilières : la Cour d’appel de l’Ontario donne du mordant au critère d’autorisation des poursuites pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaireCette année encore, les recours collectifs ont été nombreux dans le secteur des valeurs mobilières. Les tribunaux d’appel se sont intéressés particulièrement aux allégations de présentation inexacte des faits sur le marché secondaire. En février 2024, dans la décision Drywall Acoustic Lathing and Insulation (Pension Fund, Local 675) v Barrick Gold Corporation (Drywall), la Cour d’appel de l’Ontario a réexaminé le critère d’autorisation de poursuite relative à de telles allégations en vertu de l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario. Préconisant une approche rigoureuse, la Cour a conclu que les juges saisis d’une motion en autorisation ont le droit d’examiner attentivement la preuve à l’appui de la motion. Elle a également précisé ce qui constitue une « rectification publique » au sens de la Loi sur les valeurs mobilières. Contexte procéduralDans l’affaire Drywall, les demandeurs alléguaient que Barrick Gold avait présenté des faits importants de manière inexacte dans ses documents d’information continue sur une importante mine d’or située dans un milieu naturel fragile au Chili. Les inexactitudes alléguées portaient principalement sur les pratiques comptables de la mine et les résultats financiers projetés, notamment le budget de dépenses en capital (capex) et le calendrier de production. Les demandeurs alléguaient également que Barrick Gold avait présenté de façon inexacte des faits sur sa conformité à la réglementation environnementale. Les procédures étaient fractionnées et compliquées. Les démarches des demandeurs, entamées en 2014, ont été considérablement retardées parce que deux cabinets d’avocats s’opposaient dans le cadre d’une « motion en conduite d’instance » visant à déterminer lequel des deux serait autorisé à mener le recours collectif projeté. La Cour a sélectionné le recours des demandeurs principalement parce que celui-ci portait sur des inexactitudes tant sur les plans comptable qu’environnemental. Le cabinet concurrent, quant à lui, se serait limité aux allégations de nature environnementale. Un demandeur qui souhaite intenter une action en vertu de l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières parce qu’un émetteur aurait présenté des faits de façon inexacte dans ses communications publiques doit d’abord obtenir l’autorisation du tribunal. L’article 138.8 prévoit que le tribunal accorde cette autorisation s’il est convaincu : (1) que l’action est intentée de bonne foi; et (2) qu’il est raisonnablement possible que l’action soit réglée au moment du procès en faveur du demandeur. Pour satisfaire au deuxième volet du critère, le demandeur doit « offrir une analyse plausible des dispositions législatives applicables, et il doit également présenter des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande ». Après une première motion en autorisation conformément à l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières, les demandeurs ont remporté une très mince victoire : la Cour a autorisé leur poursuite pour une seule inexactitude alléguée sur le plan environnemental. Cette décision a été infirmée en appel. La deuxième motion en autorisation des demandeurs visait une poursuite en dommages-intérêts fondée sur de multiples allégations de présentation inexacte des faits (comptabilité, budget de capex, calendrier de production). L’audience fut longue et complexe : elle a duré cinq jours et la preuve présentée totalisait plus de 30 000 pages. La juge a rejeté la motion des demandeurs pour toutes les inexactitudes comptables alléguées et pour la vaste majorité des inexactitudes alléguées concernant le budget de capex et le calendrier de production. Cependant, elle a autorisé une poursuite fondée sur les allégations de présentation inexacte du budget de capex et des prévisions de production dans le rapport du quatrième trimestre et de fin d’exercice 2011 publié le 16 février 2012, et dans la notice annuelle pour l’exercice clos le 31 décembre 2011. La juge saisie de la motion a par ailleurs conclu qu’un communiqué de presse publié par Barrick Gold en juillet 2012, qui indiquait que les coûts excéderaient le budget de capex annoncé précédemment, constituait une rectification publique des inexactitudes alléguées. Ainsi, cette décision réduisait considérablement la période visée par le recours collectif. Cour d’appelEn appel, les demandeurs contestaient uniquement le rejet de la poursuite visant les allégations de présentation inexacte du budget de capex dans le rapport du troisième trimestre de 2011 publié par Barrick Gold en octobre 2011. Ils soutenaient également que la juge saisie de la motion s’était trompée sur la date de rectification publique potentielle. La Cour d’appel n’a pas retenu ces arguments et a donc rejeté l’appel. Dans ses motifs, la Cour clarifie le degré de l’examen réalisé par les juges saisis d’une motion en autorisation, notamment en présence d’éléments de preuve contradictoires. Principes de la preuve applicables aux motions en autorisation
En appel, les demandeurs soutenaient essentiellement que la juge avait erré dans son examen de la preuve volumineuse qui accompagnait la motion et qu’elle avait rejeté ou mal apprécié des éléments de preuve crédibles qui auraient justifié une autorisation. Rejetant cet argument, la Cour d’appel énonce trois grands principes applicables au rôle du juge saisi d’une motion en autorisation. Premièrement, la Cour d’appel rappelle l’important rôle de gardien que joue le juge qui préside l’audience sur la motion en autorisation. Le juge doit notamment déterminer s’il existe une preuve suffisante offrant une chance raisonnable ou réaliste que l’issue de l’action soit favorable au demandeur. Il ne suffit pas que l’auteur de la motion montre qu’il y a matière à procès ou qu’il existe une simple possibilité de succès. Selon la Cour, le juge saisi de la motion doit effectuer une [TRADUCTION] « évaluation qualitative du recours proposé ». Deuxièmement, la Cour d’appel clarifie l’interaction entre l’exigence d’établir [TRADUCTION] « une possibilité raisonnable ou réaliste de succès » et celle d’offrir « une analyse plausible des dispositions législatives applicables et des éléments de preuve crédibles à l’appui de la requête du demandeur ». Pour ce deuxième aspect, bien que le demandeur doive satisfaire aux conditions, la Cour affirme : [TRADUCTION] « [Ces conditions] ne suffisent pas à elles seules. Il faut non seulement les respecter, mais aussi présenter au juge un dossier démontrant l’existence d’une chance réaliste ou raisonnable de succès ». Ainsi, il ne suffit pas que le demandeur présente des éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande, puis en déduise l’existence d’une possibilité raisonnable de succès : [TRADUCTION] « [P]ar moments, [les demandeurs] agissaient comme s’il leur suffisait de présenter “des éléments de preuve crédibles” pour obtenir l’autorisation du tribunal. Ils ont tenté à plusieurs reprises d’invoquer des “éléments de preuve crédibles” sur la base desquels la juge aurait dû autoriser la poursuite. Or, […] pour être suffisante, la preuve doit nécessairement être crédible, mais une preuve crédible ne démontre pas forcément l’existence d’une chance de succès réaliste ou raisonnable ». C’est pourquoi le juge saisi de la motion en autorisation doit examiner tous les éléments de preuve dans leur ensemble et non seulement ceux qui appuient la théorie du demandeur. Si le défendeur présente une preuve tellement convaincante que le demandeur n’aurait aucune chance raisonnable de succès au procès, l’autorisation peut être refusée. Si la preuve en défense montre que des éléments de preuve cruciaux présentés par le demandeur sont fondés sur [TRADUCTION] « des hypothèses factuelles douteuses qui en minent complètement la crédibilité », le juge saisi de la motion peut ne pas les accepter. Troisièmement, pour répondre à l’argument des demandeurs selon lequel la juge aurait injustement transformé la motion en autorisation en [TRADUCTION] « mini-procès », la Cour d’appel clarifie la façon de traiter les éléments de preuve contradictoires. Plus particulièrement, le juge saisi d’une motion en autorisation ne doit pas tenter de trancher les questions réalistes et litigieuses soulevées par des éléments de preuve crédibles, mais contradictoires. Le juge doit aussi tenir compte du fait qu’il ne dispose pas de la preuve complète, car la motion en autorisation est présentée au tout début des procédures, avant l’enquête préalable. Cela dit, le juge peut évaluer la crédibilité et la fiabilité des éléments de preuve, en tenant compte notamment des contre-interrogatoires sur les affidavits et de la force probante des éléments contradictoires : [TRADUCTION] « le juge saisi d’une motion en vertu de l’article 138.8 ne tient pas un mini-procès du seul fait que sa décision s’appuie sur des questions de crédibilité et de fiabilité ou d’appréciation de la preuve ». Appliquant ces principes, la Cour d’appel conclut que la juge saisie de la motion n’a pas erré en refusant d’autoriser une poursuite sur des allégations de présentation inexacte des faits par Barrick Gold dans le rapport du troisième trimestre de 2011. Fait important, aucune preuve directe ne démontrait que Barrick Gold savait à l’époque que le budget de capex était inexact ou que ses propres prévisions budgétaires en la matière n’étaient essentiellement pas fiables. Les demandeurs soutenaient plutôt qu’on pouvait le déduire des documents de Barrick Gold. Sans mettre en doute la crédibilité de ces éléments de preuve, la juge saisie de la motion a conclu que les déductions présentées par les demandeurs n’auraient aucune chance réaliste ou raisonnable d’être retenues au procès. Selon la Cour, les demandeurs avaient tort d’affirmer que la juge avait apprécié et rejeté des éléments de preuve crédibles; elle avait plutôt [TRADUCTION] « conclu, comme elle était en droit de le faire, que le dossier dans son ensemble ne présentait aucune possibilité réaliste ou raisonnable de succès ». Le critère de rectification publiqueLa « rectification publique » des inexactitudes alléguées constitue un [TRADUCTION] « repère temporel nécessaire » pour toute allégation de présentation inexacte des faits et pour le « calcul ultérieur des dommages-intérêts ». Ainsi, la détermination du moment où l’émetteur aurait potentiellement rectifié les inexactitudes alléguées a des répercussions considérables sur la période visée par le recours collectif et les dommages-intérêts potentiels. La juge saisie de la motion avait conclu qu’un communiqué de presse publié en juillet 2012 constituait une rectification, car Barrick Gold décrivait en détail les difficultés rencontrées sur place, admettait que ses projections antérieures étaient inexactes et présentait un budget et un calendrier de production révisés. Rejetant l’argument des demandeurs selon lequel la rectification serait survenue beaucoup plus tard, la Cour d’appel a confirmé que le communiqué de presse de juillet 2012 satisfaisait [TRADUCTION] « au critère relatif à l’établissement d’un lien » pour une rectification publique puisqu’il « pouvait raisonnablement être compris sur le marché secondaire comme une rectification des éléments trompeurs » contenus dans les déclarations contestées. Regard vers l’avenirLa décision Drywall dissipe le flou entourant les principes de la preuve applicables à une motion en autorisation présentée en vertu de l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières. Préconisant une approche rigoureuse, la Cour conclut que les juges saisis d’une motion en autorisation ont le droit d’examiner attentivement la preuve à l’appui de la motion. Comme la motion en autorisation de poursuite en vertu de l’article 138.3 de la Loi sur les valeurs mobilières détermine généralement si un recours collectif pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire passera ou non l’étape de la certification, l’affaire Drywall nous enseigne que les émetteurs assujettis et les autres défendeurs doivent mettre toutes les chances de leur côté et, si possible, présenter une preuve exhaustive en réponse à la motion du demandeur. Les principes de la preuve affirmés dans la décision Drywall devraient s’avérer particulièrement utiles lorsque les demandeurs chercheront à intenter des actions pour présentation inexacte des faits sur de nouveaux aspects (notamment sur l’écoblanchiment) susceptibles d’être contestés dès les premières étapes du processus judiciaire. Nous prévoyons également que le droit applicable aux allégations de présentation inexacte des faits sur le marché secondaire continuera d’évoluer en 2024. En effet, la Cour suprême du Canada a récemment accordé une autorisation d’appel dans l’affaire Markowich v Lundin Mining Corporation (Lundin), où la Cour d’appel de l’Ontario avait adopté une interprétation large du concept de « changement important » en droit des valeurs mobilières. Comme nous l’expliquions dans l’édition précédente de Regard vers l’avenir, l’affaire Lundin a des répercussions importantes pour les émetteurs assujettis au Canada, car elle élargit passablement le concept de changement important. La décision de la Cour suprême du Canada sera scrutée de près par les émetteurs assujettis et par les marchés financiers en général. Voici d’autres articles de cette série :
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