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L’évolution du marché des F&A au Québec : l'essor du capital-investissement et des acheteurs régionaux

11 mars 2025

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Écrit par Jean Tessier, Zirjan Derwa et Sam Kennedy

Le paysage des F&A sur le marché intermédiaire québécois a changé radicalement au cours des dernières années, les acheteurs locaux surenchérissant de plus en plus les investisseurs internationaux pour des actifs très recherchés. Cette tendance est alimentée par une combinaison d'interventions gouvernementales ciblées, d'un niveau record de « poudre sèche » dans l’industrie du capital-investissement et d'un changement notable dans les préférences des vendeurs en faveur d’acquéreurs locaux. À l’aube de 2025, il est essentiel d’examiner les forces macroéconomiques, les décisions stratégiques, la réaffectation des fonds en regard des mesures tarifaires et la dynamique concurrentielle à l’origine de cette évolution — ainsi que les conséquences possibles de tout cela sur les transactions d’affaires au Québec dans un avenir prévisible.

Soutien gouvernemental aux acquisitions et aux investissements

L'environnement politique du Québec favorable aux acquisitions a considérablement modifié les règles du jeu, soutenu par une coalition d'institutions provinciales et fédérales qui facilitent activement les acquisitions locales. Voici certains des principaux acteurs:

Augmentation de l'activité des fonds de capital-investissement et des acheteurs stratégiques

Bien qu'à un rythme plus lent que les augmentations observées en 2023, les firmes et institutions québécoises de capital-investissement ont continué en 2024 d'accumuler, ou de préserver, des réserves de poudre sèche sans précédent, se positionnant comme des acteurs décisifs dans les transactions sur le marché intermédiaire. Cette accumulation s'explique par :

Parallèlement, les vendeurs privilégient de plus en plus les acheteurs établis au Québec pour plusieurs raisons :

À titre d'exemple, la CDPQ a considérablement augmenté son allocation en capital-investissement au sein de son portefeuille au cours des dernières années. Ses avoirs en capital-investissement ont presque doublé, passant de 10,1 % de son portefeuille en 2013 à 20,1 % en 2022. L'accent mis par l'institution sur les transactions de moins de 500 millions de dollars la positionne comme une force dominante dans le segment du marché intermédiaire au Québec. Dans ce contexte, en 2024, la CDPQ avait 93 milliards de dollars d'actifs nets investis au Québec, avec l'objectif d'atteindre 100 milliards de dollars en 2026.

Au niveau national, la CVCA (Association canadienne du capital de risque et du capital-investissement) a indiqué que le quatrième trimestre 2024 a établi un record historique au Canada en tant que trimestre le plus élevé en 10 ans pour les investissements en capital-investissement. Le Québec a représenté en 2024 59 % de toutes les transactions de capital-investissement au Canada et 69 % de la valeur totale des transactions pour l’année, ce qui correspond à 19,1 milliards de dollars déployés dans 385 transactions.

Les investisseurs internationaux redéfinissent leur approche

Si les investisseurs étrangers restent actifs sur le marché des F&A au Québec, ils font néanmoins face à des défis plus importants :

Comme indiqué plus haut, le gouvernement fédéral a poursuivi sa tendance à examiner de près certaines catégories d'investissements en vertu de la Loi sur Investissement Canada (la LIC), créant ainsi des obstacles supplémentaires pour les acheteurs internationaux. Ces dernières années, les acquisitions dans des secteurs tels que les ressources naturelles, l'IA et la défense ont fait l'objet d'un examen réglementaire plus poussé. À l'automne 2022, le gouvernement canadien a opéré un changement important dans sa politique d'investissements étrangers, en prenant des mesures décisives pour restreindre les entreprises publiques et les investissements privés influencés par l'étranger provenant d'entités « hostiles » ou « malveillantes » dans le secteur des minéraux critiques canadiens. Ce changement a eu un effet dissuasif sur les investissements étrangers dans le secteur, y compris les participations sans prise de contrôle, en particulier de la part des investisseurs chinois. En juillet 2024, le gouvernement a encore durci sa position en annonçant que les examens obligatoires des « avantages nets » en vertu de la LIC concernant la production de minéraux essentiels ne seraient approuvés que « dans les circonstances les plus exceptionnelles ». Cette surveillance accrue se reflète dans les statistiques récentes. Plus précisément, au cours de l'exercice fiscal 2023-2024 du gouvernement canadien (se terminant le 31 mars), 26 investissements ont fait l'objet d'un examen approfondi dans le cadre du régime de sécurité nationale de la LIC. Parmi eux, 15 ont été approuvés après examen, neuf ont été retirés et deux ont donné lieu à un décret du Cabinet fédéral exigeant que l'investisseur se dessaisisse de ses investissements.

Le 5 mars 2025, le ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie, François-Philippe Champagne, a annoncé que le gouvernement canadien pourrait invoquer le régime de sécurité nationale en vertu de la LIC pour empêcher « des investissements opportunistes ou hostiles de la part d’acteurs étrangers ». À cette fin, le ministre a mis à jour les lignes directrices relatives à la sécurité nationale en vertu de la LIC afin d'inclure l'impact potentiel d'un investissement sur la sécurité économique du Canada comme facteur à prendre en considération. Dans sa déclaration, le ministre Champagne a fait référence à « l'évolution rapide de l'environnement commercial », ce qui semble être une réponse à l'imposition, le 4 mars 2025, de droits de douane de 25 % sur tous les produits canadiens importés aux États-Unis (sous réserve de traitements différents pour des produits et des industries spécifiques, et sous réserve d'une exemption jusqu'au 2 avril 2025 pour les exportations canadiennes qui sont conformes à l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (l'« ACEUM »))2. Toutefois, ni la déclaration du ministre ni les lignes directrices mises à jour ne font explicitement référence à un pays en particulier. Si le régime de sécurité nationale est utilisé pour examiner les investisseurs américains, il s'agirait d'un changement important par rapport aux pratiques antérieures, comme les investissements américains ont rarement fait l'objet d'un examen aussi approfondi.

Cela dit, plutôt que de reculer face à cette surveillance réglementaire accrue, de nombreux investisseurs internationaux adaptent leur approche au paysage québécois. Les participations minoritaires, les partenariats stratégiques et les co-investissements avec des institutions locales sont devenus des structures privilégiées, permettant aux acteurs étrangers de maintenir une présence dans des secteurs clés tout en s'alignant sur les priorités nationales.

Des exemples récents illustrent cette tendance. En novembre 2023, avec le soutien d'Hydro-Québec pour de l’électricité et l'appui du gouvernement du Québec, Microsoft a annoncé un investissement de 500 millions de dollars américains pour étendre son infrastructure numérique et ses initiatives de formation dans la région de Québec, soutenir l'économie innovative de la province et préparer le Québec à l'évolution du paysage de l'IA. En 2024, dans le but de renforcer l'écosystème naissant de la technologie quantique dans la région, les entreprises informatiques françaises Quandela et Pasqal se sont installées à Sherbrooke, au Québec, avec le soutien financier du gouvernement du Québec. Ces investissements reflètent la stratégie de la province, qui consiste à favoriser les investissements dans la haute technologie tout en assurant une participation locale dans les industries de pointe. Enfin, Montréal International a récemment indiqué que les investisseurs étrangers ont injecté un total de 2,7 milliards de dollars dans l'économie métropolitaine en 2024, alimentant la croissance dans des secteurs innovants clés tels que les technologies propres, l'IA ou les sciences de la vie, et soulignant de ce fait l'attrait continu du Québec pour les capitaux internationaux malgré les vents contraires réglementaires.

Ces changements soulignent un réalignement plus large : alors que les obstacles aux investissements étrangers ont augmenté pour des industries spécifiques dans certains contextes, le Québec reste ouvert aux investissements internationaux, particulièrement lorsqu'ils sont structurés dans le cadre de partenariats qui s'alignent sur les objectifs économiques et stratégiques locaux.

Tendances mondiales en matière de capital-investissement : un dynamisme soutenu à l'aube de 2025

Les sociétés de capital-investissement abordent l’année 2025 avec une confiance renouvelée et d’importantes réserves de capital. Après une période de prudence relative en 2023-2024, marquée par l’incertitude économique et la hausse des taux d’intérêt, les investisseurs sont désormais prêts à engager une nouvelle vague d’opérations, bien que les tensions géopolitiques et l’évolution des politiques tarifaires puissent influencer la dynamique du marché.

Pour le marché québécois des F&A, cette dynamique mondiale influencera à la fois la concurrence pour les actifs et l'accès aux capitaux internationaux. Des fonds locaux bien capitalisés, combinés à un intérêt soutenu de la part des investisseurs étrangers, sont susceptibles de maintenir le rythme des transactions à un niveau relativement élevé tout au long de l'année 2025.

Ce qui nous attend en 2025

Alors que le paysage des F&A du marché intermédiaire québécois continue d'évoluer, la concurrence entre les acheteurs devrait rester intense en 2025 (et au cours des prochains trimestres). Plusieurs facteurs façonneront le marché et influenceront l’activité des transactions :

Une chose est claire : les acheteurs québécois ne sont plus de simples participants dans les F&A du marché intermédiaire québécois—ils façonnent l'orientation du marché. Grâce à de solides réserves de capitaux, au soutien continu du gouvernement et à un environnement de plus en plus concurrentiel, les acquéreurs locaux sont bien placés pour stimuler l'activité de F&A pour l'avenir prévisible. En même temps, l'évolution des politiques commerciales et des contraintes de financement façonnera les structures des transactions prochaines, tandis que les investisseurs étrangers devront adapter leurs stratégies pour maintenir leur présence dans le marché. Alors que le paysage des F&A au Québec continue d'évoluer, la propriété locale et la croissance stratégique resteront des thèmes clés dans les trimestres à venir.


1 Note : Cette liste se concentre sur les institutions soutenues par le gouvernement qui jouent un rôle direct dans la facilitation des acquisitions et des investissements au Québec. Elle n'inclut pas les sociétés de capital-investissement et de capital-risque ayant leur siège dans la province, ni les fonds d'investissement spécialisés structurés autour de coentreprises avec des partenaires spécifiques. Ces acteurs privés contribuent également de manière significative au paysage des fusions et acquisitions au Québec et à l'écosystème plus large de l'investissement.

2 Note : Les politiques tarifaires des autorités américaines et canadiennes sont sujettes à de fréquents changements, et les informations contenues dans ce blog peuvent ne plus être à jour au moment de la lecture. Les lecteurs sont invités à consulter des sources gouvernementales officielles ou des conseillers juridiques pour connaître les derniers développements.

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