Le 3 mai 2019, la Cour d’appel de la Saskatchewan (SKCA) a rendu sa longue décision dans Référence concernant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2019 SKCA 40. Cette décision très attendue représente la première considération judiciaire pour déterminer si le régime fédéral de taxe sur le carbone du Canada est conforme à la Constitution. Le résultat a été une décision partagée 3-2, avec une majorité soutenant pour la SKCA que la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, CS 2018, c 12 (la Loi) est entièrement constitutionnelle.
Le lieutenant-gouverneur en conseil de la Saskatchewan (Saskatchewan) a lancé un renvoi à la SKCA pour déterminer si la Loi est inconstitutionnelle en tout ou en partie. Le défi de la Saskatchewan portait spécifiquement sur les frais monétaires imposés sur les combustibles fossiles et les émissions en vertu des parties 1 et 2 de la Loi.
La partie 1 de la Loi applique une redevance aux combustibles qui sont produits, livrés, utilisés ou importés dans des provinces déterminées. Le droit pour 2019 est de 20 $ par tonne d’équivalent CO2 émis par chaque type de carburant, qui passera à 50 $ par tonne d’équivalent CO2 en 2022. La partie 2 de la Loi établit des normes de rendement fondées sur le rendement pour les émissions de gaz à effet de serre des grandes installations industrielles. Des normes propres à l’industrie sont établies en fonction des émissions moyennes des installations du secteur industriel pour un produit donné. Les dispositions de la partie 2 exigent que les installations paient une compensation pour le dépassement de leur limite annuelle d’émissions de gaz à effet de serre. Notamment, le paragraphe 165(2) de la Loi exige que toute somme recueillie en vertu de la partie 1 ou de la partie 2 soit redistribuée dans la province où elle a été perçue.
La Loi dans son ensemble est conçue pour fonctionner comme une mesure provisoire. Les parties 1 et 2 ne s’appliquent que dans les provinces choisies par le gouverneur en conseil. Les critères clés dans le choix des provinces sont de savoir si une province a adopté ses propres mécanismes de tarification suffisamment rigoureux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. À l’heure actuelle, la partie 1 de la Loi s’applique en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et en Saskatchewan, et dans une certaine mesure au Yukon et au Nunavut. La partie 2 s’applique en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Manitoba, à l’Île-du-Prince-Édouard, au Yukon et au Nunavut, et dans une certaine mesure en Saskatchewan. La Loi ne s’applique pas à l’Alberta, étant donné que le gouvernement fédéral a jugé que ses mesures actuelles de tarification du carbone étaient suffisantes.
Tous les participants aux procédures devant la SKCA ont reconnu l’importance de limiter les émissions de gaz à effet de serre. La seule question à déterminer était de savoir si les dispositions de la Loi pouvaient être maintenues en tant qu’exercice approprié du pouvoir de légisser du gouvernement fédéral. La Saskatchewan a avancé deux arguments principaux selon lesquels la Loi est inconstitutionnelle, qui contestent tous deux l’application sélective de la Loi. Premièrement, la Saskatchewan a soutenu qu’il irait à l’encontre du principe du fédéralisme que de permettre au Parlement d’appliquer des lois fondées sur la mise en place de mesures provinciales existantes. Deuxièmement, la Saskatchewan a soutenu que le rôle du gouverneur en conseil dans le choix des provinces assujetties à la Loi permet au pouvoir exécutif du gouvernement de créer sa propre taxe.
La décision majoritaire de trois membres a rejeté les arguments de la Saskatchewan en faveur de l’invalidation de la Loi. Les juges majoritaires ont également conclu que la Loi était un exercice valide du pouvoir constitutionnel du Parlement de légiférer pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada (POGG).
Pour ce qui est de la question de savoir si la Loi prélevait des taxes inconstitutionnelles, les juges majoritaires ont conclu que les montants facturés en vertu des parties 1 et 2 sont des redevances réglementaires plutôt que des taxes. Les frais ne sont pas conçus pour générer des revenus à des fins générales, mais font plutôt partie d’un régime de réglementation détaillé dans le but de changer le comportement individuel. Sur cette base, les juges majoritaires ont rejeté l’argument de la Saskatchewan selon lequel la Loi habileait le gouverneur en conseil à imposer une taxe. Même s’il s’agissait de taxes, la majorité a conclu que la délégation de pouvoir du Parlement au gouverneur en conseil était suffisamment explicite et donc constitutionnelle.
Après avoir rejeté les arguments de la Saskatchewan en faveur de l’invalidation de la Loi, la majorité s’est penchée sur la question de savoir si la compétence législative du Parlement englobait l’objet de la Loi. Bien que le gouvernement du Canada et plusieurs intervenants aient offert de nombreux chefs de pouvoir en vertu de la Constitution pour appuyer la Loi, la majorité a conclu qu’elle ne pouvait être appuyée qu’en vertu du pouvoir du Parlement en matière de pogg. La majorité a soutenu que l’assurance de normes de prix nationales minimales pour les émissions de gaz à effet de serre est une question d’intérêt national, qui relève de la compétence exclusive du gouvernement fédéral.
Dans un jugement dissident, deux juges se sont écartés de la majorité sur plusieurs points clés. Bien que les juges dissidents aient convenu que l’accusation imposée en vertu de la partie 2 de la Loi était une accusation réglementaire, ils ont conclu que la partie 1 de la Loi impose une véritable taxe. Les juges dissidents auraient déclaré inconstitutionnelle la partie 1 de la Loi, concluant que la délégation du pouvoir de taxation de la Loi au gouverneur en conseil est trop large, pas suffisamment explicite et va à l’encontre du principe selon lequel la législation fiscale devrait s’appliquer uniformément.
De plus, les juges dissidents auraient invalidé l’ensemble de la Loi au motif qu’elle n’était justifiée par aucun des pouvoirs législatifs du Parlement. En ce qui concerne le pouvoir de pogg, les juges dissidents ont conclu que la réglementation des émissions de gaz à effet de serre n’est pas suffisamment distincte des questions provinciales pour être considérée comme une préoccupation nationale. En travaillant ensemble, les provinces pourraient adopter la même loi sur le fond. De l’avis des dissidents, les répercussions extraprovinciales des émissions de gaz à effet de serre ne sont pas déterminantes, parce que la loi elle-même n’accorde pas de plafond aux émissions. De plus, le fait de donner au Parlement un pouvoir exclusif sur les émissions de gaz à effet de serre enlèverait trop de compétence législative provinciale. Étant donné que les émissions de gaz à effet de serre découlent d’un certain nombre d’activités et sont liées à presque tous les aspects de l’économie provinciale, le fait d’accorder au Parlement une compétence exclusive empêcherait les provinces d’élaborer des réponses locales et nuancées aux émissions de gaz à effet de serre.
Bien que le régime fédéral de taxe sur le carbone ait survécu à sa première contestation judiciaire, il y en a d’autres à venir. La Cour d’appel de l’Ontario a entendu les arguments en faveur d’une affaire de référence similaire en avril, réservant sa décision, et le gouvernement du Manitoba a indiqué qu’il contesterait sa propre loi. Il y a également de fortes chances que la Cour suprême du Canada se penche en fin de compte sur la question, particulièrement à la lumière de la décision partagée de la SKCA. Le nouveau premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a indiqué que l’Alberta chercherait à intervenir et à soutenir la Saskatchewan si le gouvernement choisissait d’interjeter appel. Une chose est claire : la décision de la SKCA sur le régime fédéral de taxe sur le carbone ne sera pas le dernier mot.