Les kickers d’équité et le taux d’intérêt criminel

08 mai 2017

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Écrit par Preet K. Bell and David S. Rotchtin

La conclusion d’une opération de prêt qui comporte également une composante de capitaux propres, comme l’émission d’actions ou de bons de souscription, a déjà suscité des inquiétudes quant au fait que le prêt pourrait en fin de compte aller à l’encontre du taux d’intérêt criminel de 60 %. Bien que l’on ait largement estimé que cela était contraire à l’objet visé de la disposition relative aux intérêts criminels (prévenir l’octroi de prêts usuraires), il y a toujours eu un risque que les capitaux propres puissent être saisis et évalués comme des intérêts en raison de la définition large et de l’interprétation judiciaire de l'«intérêt » dans cette disposition. Toutefois, ce risque a été réduit par une décision de la Cour supérieure de l’Ontario qui a récemment été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario. 1

Le taux d’intérêt et d’équité criminel

L’article 347 du Code criminel ériment en fait une infraction criminelle le fait de conclure une entente dont le taux d’intérêt annuel effectif est supérieur à 60 %. 2 La disposition est déclenchée de deux façons: (1) si l’accord, à première vue, a un taux d’intérêt supérieur à 60 pour cent; ou (2) si, pendant la durée du prêt, le prêteur a finalement obtenu des intérêts supérieurs à 60 pour cent. Ce dernier crée une approche attentiste et a parfois été une source de préoccupation lorsque des capitaux propres ont été offerts dans le cadre d’une opération de prêt (souvent appelé « kicker d’actions » ou « édulcorant d’actions »). On craint souvent qu’à la fin de la période de crédit, la valeur de ces capitaux propres, si elle est considérée comme un « intérêt » en vertu de l’article 347, se traduise par un taux d’intérêt supérieur à 60 %. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que les administrateurs et les dirigeants de sociétés soient trop préoccupés par les accusations criminelles, cette disposition a été utilisée par les emprunteurs pour attaquer un accord de prêt (ou des parties de celui-ci) comme étant inapplicable et a fourni une base pour contester la transaction convenue à l’origine.

Malgré l’intention initiale de l’article 347 d’éviter les prêts usuraires, la définition de l’intérêt à l’article 347 est rédigée de façon large et a généralement été interprétée de façon large par les tribunaux, ce qui pourrait l’appliquer à des opérations d’entreprise par ailleurs légitimes entre des parties averties. Pour déterminer si un élément est un « intérêt », les tribunaux ont généralement tenu compte de la question de savoir s’il s’agit, en substance, d’un coût engagé pour recevoir un crédit. 3Il y a eu une jurisprudence assez limitée en vertu de l’article 347 concernant l’utilisation d’instruments de capitaux propres et d’instruments similaires dans le cadre d’un prêt. Toutefois, les paiements de redevances, les bénéfices anticipés, les actions, les bons de souscription et même une occasion de placement ont pu être considérés comme des « intérêts », ou potentiellement inclus dans le calcul des intérêts, aux fins de l’article 347. 4 Cela a suscité une certaine incertitude et des préoccupations quant au fait que l’article pourrait s’appliquer lorsqu’une certaine forme de capitaux propres est offerte dans le cadre d’une opération de dette, même si elle ne cadre pas avec l’intention initiale de l’article 347.  Toutefois, une décision du juge Gans de la Cour supérieure de l’Ontario, qui a récemment été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario, rassure quelque peu les prêteurs corporatifs. 5

L’arrêt Bimman c. Neiman restreint la portée

En 2015, le juge Gans de la Cour supérieure de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire Bimman c. Neiman6, qui a restreint l’application de l’article 347 aux botteurs d’actions.

L’affaire était une demande d’oppression présentée par les actionnaires à l’égard de mesures prises par les défendeurs (principalement à l’égard d’appels en espèces et de l’octroi d’une hypothèque), et demandait également le remboursement de montants en vertu d’une convention d’actionnaires. Bien qu’il ne s’agisse que d’une question accessoire dont la cour est saisie, le juge Gans a expressément examiné si les actions que les actionnaires défendeurs ont reçues à la suite de leurs prêts à la société relevaient de la définition d'« intérêts ».  Le juge Gans a reconnu l’intention initiale de l’article 347 de mettre fin à l’usurier et a conclu que des opérations comme celle en l’espèce – les prêts aux actionnaires en échange ou couplés à l’émission d’actions – n’étaient pas du genre de celles que le législateur avait l’intention d’interdire. Le juge Gans n’était pas convaincu que les actions constituaient une « charge ou dépense » au moment où ces termes sont utilisés dans la définition d’intérêt prévue par la loi. Il a notamment conclu que, bien qu’il puisse y avoir un coût associé à l’émission d’actions à une valeur inférieure au marché, ce coût est réellement assumé par les actionnaires de la société et, de plus, l’émission d’actions n’est pas une charge « payée ou payable » par la société et ne correspond donc pas à la définition d'«intérêt »; les actions n’étaient pas rachetables au gré des actionnaires, la société ne s’était pas engagée à les racheter à l’avenir et ils ne garantissaient aucun droit à un paiement futur.

Toutefois, le juge Gans a pris soin de déclarer qu’il ne déterminait pas si les actions étaient catégoriquement exclues de l’article 347 et que chaque cas devait être tranché en fonction de ses propres faits. De plus, il a fait remarquer que ni les actionnaires ni la société n’attaquaient les prêts aux actionnaires comme violant l’article 347, ce qui peut donner moins de poids à sa conclusion qu’à un cas où l’emprunteur contestait la légalité de l’opération de prêt. Néanmoins, sa conclusion, qui éloigne l’émission d’actions de la définition d’intérêt à l’article 347, devrait tout de même rassurer ceux qui fournissent et reçoivent des capitaux propres dans le cadre d’une opération de prêt. Bien que cette question précise n’ait pas été en cause devant la Cour d’appel, le fait que la décision du juge Gans ait été confirmée à l’unanimité par la Cour devrait donner plus de poids à la décision. 7 Bien que le risque lié à l’article 347 pour les botteurs d’actions et les opérations semblables n’ait pas complètement disparu, il semble avoir diminué.

Remarques :

1 Birman c. Neiman 2017 ONCA 264, appel et appel incident de 2015 ONSC 2313, 2015 ONSC 3076, 2015 ONSC 4144 et 2015 ONSC 4414

2 Une exception relative aux « prêts sur salaire » a été instaurée en 2007 : l’article 347.1.

3 Voir Garland c. Consumers' Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112.

4 Voir par exemple Boyd c. International Utility Structures Inc. (2001), 88 B.C.L.R. (3d) 183 (C.S.), décédé en 2002 BCCA 438; 677950 Ontario Ltd. c. Artell Developments Ltd. (1992), 93 D.L.R. (4e) 334 (C.A. Ont.), décédé [1993] 2 R.C.S. 443; J.D.M. Capital Ltd. v. Smith, 39 B.C.L.R. (3d) 340 (C.S.), rev’d (1998), 58 B.C.L.R. (3d) 272 (C.A.); Aectra Refining & Marketing Inc. c. Lincoln Capital Funding Corp. (1991), 6 O.R. (3d) 146 (Ct. J. (Div. gén.)); et Re Bearcat Explorations Ltd. (2004), 3 C.B.R. (5e) 173 (B.R. Alb.).

5 La question de l’article 347 n’a pas été instruite en appel, mais la Cour d’appel de l’Ontario a généralement confirmé les conclusions et l’analyse du juge Gans, à l’exception de son octroi de dommages-intérêts punitifs et d’un point d’évaluation.

6 2015 ONSC 2313.

7 2017 ONSC 264, rejetant l’appel mais infirmant les conclusions concernant les dommages-intérêts punitifs et le nombre d’actions à émettre.

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