Le gouvernement canadien a publié son projet de Règlement sur l’électricité propre (le Règlement) attendu depuis longtemps le 10 août 20231 , établissant son approche pour rendre obligatoire un réseau électrique à émissions nettes nulles d’ici 2035. Dans cette note, nous offrons notre point de vue sur cette initiative de réglementation fédérale qui aura des répercussions sur l’industrie de l’électricité partout au Canada et qui sera certainement controversée dans certaines régions du Canada, préparant le terrain pour des défis juridictionnels et l’incertitude réglementaire, qui doivent tous être abordés afin d’établir une base solide sur laquelle investir.
Bien que le Règlement prévoie des exemptions précises pour les petites unités de production de moins de 25 MW ou pour les situations d’urgence afin de préserver une alimentation électrique fiable, le Règlement a une portée considérable et créera un nouveau régime de réglementation fédéral qui s’appliquera à la majorité de la capacité de production d’électricité actuelle et future au gaz naturel, au charbon et à l’hydrogène. Historiquement, l’industrie de l’électricité a été réglementée principalement au niveau provincial, en raison de l’alinéa 92A(1)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. 2 Le gouvernement fédéral a sollicité les commentaires du public sur le Règlement au cours d’une période de réponse de 75 jours se terminant le 2 novembre 2023.
Le Règlement, une fois finalisé, entrera en vigueur le 1er janvier 2025, mais leur principale implication – la limite d’intensité des émissions – n’entrera pas en vigueur avant le 1er janvier 2035. Le Règlement établit une limite d’intensité d’émissions par défaut de 30 tonnes de CO2 par gigawattheure (GWh) d’électricité produite, avec un certain nombre d’exceptions, décrites ci-dessous.
état et l’élaboration du Règlement
implications et considérations relatives à la mise en œuvre
Au printemps et à l’été 2022, le gouvernement fédéral a publié un document de travail et un cadre proposé pour le Règlement. À la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvois concernant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre3 , qui a conclu que l’établissement de normes nationales minimales pour la rigueur du prix du carbone était un domaine de compétence fédérale valide, le gouvernement fédéral a affirmé que le Règlement relèverait de sa compétence en matière de réduction des émissions. Le document de travail et le cadre proposé ont tous deux identifié le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC) comme solution possible de réduction des émissions pour la production de gaz naturel. Cependant, ils ont également reconnu un rôle continu limité pour la production de gaz naturel sans relâche pour : (1) atténuer les situations d’urgence; 2° compléter la production intermittente d’énergie éolienne et solaire; et (3) fournir de l’énergie pendant les pics saisonniers de la demande.
Dans sa forme provisoire actuelle, le Règlement ne semble pas avoir répondu aux préoccupations provinciales soulevées en réponse au document de travail fédéral et au cadre proposé l’an dernier, y compris les préoccupations selon lesquelles un objectif de zéro émission nette pour 2035 pour la production d’électricité était trop ambitieux et que le gouvernement fédéral outrepassait sa compétence. Bien que le Règlement « institue progressivement » la norme de rendement pour les unités de gaz naturel existantes, il est plus rigoureux que prévu à l’origine pour les conditions d’urgence et de pointe.
Les décideurs ont mis en balance trois objectifs principaux : la décarbonisation, la fiabilité et l’abordabilité. De nombreux intervenants ont fait remarquer qu’il est difficile d’atteindre simultanément ces trois objectifs en fonction des technologies existantes et des coûts associés à chacune d’elles. Il reste à voir comment le Canada fera la transition vers un réseau à consommation énergétique nette zéro d’une manière qui préserve le mieux la fiabilité et l’abordabilité dans un délai relativement court.
Le budget fédéral de 2023 prévoyait un soutien financier pour les investissements dans les technologies et l’infrastructure d’énergie propre sous la forme de crédits d’impôt à l’investissement (CTI), que nous avons déjà commentés dans notre blogue, Canada utiliser la carotte au lieu du bâton pour décarboniser dans le budget de 2023. Nous avons également abordé récemment les propositions législatives visant à mettre en œuvre les CTI dans notre blogue, Le gouvernement fédéral publie des propositions législatives pour le crédit d’impôt à l’investissement dans les technologies propres. De récentes déclarations faites par le ministre fédéral de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, suggèrent que les 40 milliards de dollars en CTI et autres investissements fédéraux pour aider à la transition vers un réseau électrique net zéro pourraient dépendre des engagements provinciaux de passer à un réseau à consommation énergétique nette zéro d’ici 2035.
Étant donné que les provinces qui ont les plus grandes possibilités de nouveaux investissements dans les technologies à faible émission de carbone sont également des administrations qui ont la plus grande incidence potentielle sur les coûts du projet de règlement, ces réserves préparent le terrain pour des défis de compétence fédérale-provinciale. Le risque pour les promoteurs que ces CTI ne soient pas disponibles dans certaines provinces peut avoir un effet modérateur sur les investissements dans la technologie et l’infrastructure d’énergie propre au Canada.
Le Règlement établit des limites d’intensité d’émissions pour les unités de production qui : (1) brûlent des combustibles fossiles (tout combustible, y compris l’hydrogène, autre que la biomasse); 2° sont reliés au réseau; 3° sont des exportateurs nets d’électricité vers le réseau; et (4) ont une capacité supérieure à 25 MW.
Ces limites d’intensité d’émission ne s’appliquent pas aux centrales non alimentées au charbon qui émettent jusqu’à 150 kilotonnes de CO2 par année et qui sont exploitées pendant moins de 450 heures au cours d’une année civile (à l’exclusion des périodes d’exemption d’urgence accordées par le ministre fédéral). De plus, compte tenu des exigences d’admissibilité ci-dessus, il semble que les unités de production d’électricité émettant du carbone qui desservent entièrement ou principalement la charge hors du réseau ou derrière le point d’interconnexion du réseau ne sont pas visés par le Règlement.
Pour les unités touchées, la limite universelle d’intensité des émissions est de 30 tonnes de CO2/GWh en moyenne au cours d’une année civile. Une limite d’intensité d’émissions moins stricte de 40 tonnes de CO2/GWh sera autorisée jusqu’au 31 décembre 2039 pour les unités de production dotées d’un système CCUS qui a commencé à fonctionner au cours des sept années civiles précédentes. Cette limite moins stricte est assujettie à l’obligation de fournir des documents démontrant que l’unité de production a fonctionné à moins de 30 tonnes de CO2/GWh pendant au moins deux périodes continues de 12 heures séparées par au moins quatre mois au cours de chaque année civile.
La date d’entrée en vigueur de l’application des limites d’intensité des émissions varie en fonction de l’unité génératrice :
Le Règlement établit les méthodes de quantification de l’intensité des émissions des unités de production. Pour les unités reliées aux systèmes CCUS, seul le CO2 injecté dans les aquifères salins profonds à la seule fin de la séquestration, ou le CO2 injecté dans les réservoirs d’huile épuisés aux fins de récupération assistée du pétrole, peut être utilisé pour réduire la quantité totale d’émissions de l’unité aux fins du calcul de l’intensité des émissions de l’unité.
De plus, tout CO2 provenant de la production d’hydrogène, de carburant ou de vapeur utilisé par une unité de production doit être inclus dans le calcul de l’intensité des émissions. Cette approche exige que le propriétaire ou l’exploitant de l’unité de production obtienne du fournisseur des renseignements sur la quantité de CO2 émise pendant la production d’hydrogène ou de vapeur. 4
Certaines unités de production peuvent être exemptées des limites d’intensité des émissions dans des circonstances d’urgence pouvant aller jusqu’à 90 jours lorsque les exploitants de réseaux ou les fonctionnaires provinciaux ordonnent à un propriétaire ou à un exploitant d’unité de production de produire de l’électricité pour éviter une menace à l’approvisionnement ou pour rétablir l’approvisionnement. Cette exemption est assujettie à un examen et à une approbation ministériels fédéraux rétroactifs afin de déterminer si les circonstances ont été qualifiées à juste titre d’urgence.
La conformité sera principalement assurée au moyen d’obligations de déclaration détaillées énoncées dans le Règlement. De plus, le Règlement comprend des modifications5 qui désignent toute violation des limites d’intensité des émissions comme des infractions à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)6 et passibles de sanctions financières. Par conséquent, les propriétaires ou les exploitants de centrales qui ne satisfont pas aux exigences en matière d’intensité des émissions peuvent être invités par les exploitants de réseaux ou les fonctionnaires provinciaux à exploiter leurs unités, ce qui peut exposer ces entités privées à une responsabilité si le ministre fédéral n’est pas d’accord avec la caractérisation de l’urgence par la province.
Bien que le gouvernement fédéral ait reconnu que le Règlement aura une incidence différente sur les compétences provinciales, il s’est largement fié aux données moyennes canadiennes à l’appui de sa politique. Par exemple, Environnement et Changement climatique Canada estime que la facture d’énergie moyenne nationale des ménages augmentera de 35 $ à 61 $ par année si le règlement est adopté. Toutefois, les coûts du Règlement seront en grande partie engagés dans les administrations qui dépendent davantage des combustibles fossiles (Alberta, Saskatchewan, Nouvelle-Écosse) que dans les provinces qui ont des actifs hydroélectriques et nucléaires hérités (Ontario, Québec, Colombie-Britannique, Manitoba, Terre-Neuve-et-Labrador).
En Alberta, l’exploitant du réseau (AESO) a évalué les coûts associés à l’atteinte de l’énergie nette zéro d’ici 2035 comme allant de 44 à 52 milliards de dollars, comprenant en grande partie des investissements dans la nouvelle génération. 7 En ce qui concerne les coûts pancanadiens associés à la décarbonisation et à l’augmentation de l’approvisionnement en électricité propre pour répondre à la demande d’ici 2050, le Forum des politiques publiques a analysé des estimations de coûts allant de 1,1 à 1,7 billion de dollars. 8
Pour les promoteurs d’énergie renouvelable et ceux des technologies complémentaires (comme le stockage de l’énergie), le Règlement, jumelé à la myriade de CTI fédéraux, signale un solide soutien fédéral et un environnement réglementaire favorable à la croissance du secteur.
Cependant, les premiers ministres de l’Alberta et de la Saskatchewan, Danielle Smith et Scott Moe, ont soulevé des préoccupations concernant les coûts très élevés et les défis liés à la fiabilité du réseau associés à la transition vers un réseau électrique à consommation énergétique nette zéro d’ici 2035, en partie en raison de l’absence d’un approvisionnement important en hydroélectricité (contrairement à la Colombie-Britannique, à l’Ontario et au Québec, par exemple). Par conséquent, les deux gouvernements provinciaux ont exprimé leur réticence à mettre en œuvre le Règlement, ce qui pourrait entraîner des contestations judiciaires. Dans l’intervalle, l’Alberta a mis en œuvre une pause sur les approbations de nouveaux projets d’énergie renouvelable (dont il a été question dans notre blogue précédent, Alberta’s Pause on Renewable Projects: What We Know So Far) peu de temps avant la publication du Règlement, ce qui a fait augmenter le risque d’investissement dans le secteur des énergies renouvelables de la province. Bien que divers autres facteurs aient été cités par les organismes de réglementation et les porte-parole provinciaux, le premier ministre a attribué la pause aux ambitions de zéro émission nette du gouvernement fédéral pour 2035 et aux règlements connexes (alors à venir).
Il reste à voir si le Règlement serait maintenu comme relevant de la compétence fédérale en vertu de la « doctrine d’intérêt national » telle qu’appliquée dans la décision de la Cour suprême du Canada dans Renvois concernant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Étant donné que le Règlement sera promulgué en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), une autre question se pose de savoir si le Règlement est un exercice valide du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de droit criminel.
Le projet de règlement s’applique également à toutes les administrations canadiennes et est obligatoire. Il n’y a pas d’exception pour les unités de production dans les provinces qui se sont ouvertement « retirées » du régime. Jusqu’à ce que le conflit avec la compétence réglementaire provinciale soit concilié, le Règlement créera une incertitude réglementaire qui aura une incidence sur les décisions d’investissement liées aux producteurs de combustibles fossiles.
Par conséquent, les membres de l’industrie et les décideurs ont exprimé des préoccupations quant au fait que les provinces qui dépendent principalement du gaz naturel pour l’approvisionnement en charge de base et la stabilité du réseau pourraient faire face à des défis de fiabilité compte tenu du Règlement. Le Business Council of British Columbia a déclaré précédemment que le Règlement « [édictera] des obstacles à l’utilisation du gaz naturel et [ imposera] à la marge des choix qui sont plus coûteux et qui n’offriront pas nécessairement l’énergie fiable et à faible coût (wattheures) et la fiabilité maximale exigée par les consommateurs ». 9
De plus, les marchés de l’électricité déréglementés auront du mal à attirer des investissements dans les technologies basées sur les combustibles fossiles, même si ces technologies fourniraient des services de stabilité du réseau rentables et un approvisionnement distribuable fiable jusqu’en 2035 et au-delà. Les producteurs d’électricité indépendants (par opposition aux organismes gouvernementaux provinciaux) qui utilisent du gaz naturel sans relâche pour fournir de l’électricité en cas d’urgence peuvent être confrontés à des risques de conformité en vertu du Règlement, ce qui aura une incidence sur l’investissement et pourrait entraîner l’exemption d’urgence prévue dans le Règlement offrant moins de valeur pratique pour les administrations sans actifs hydroélectriques et nucléaires hérités qui cherchent à éviter l’application du Règlement.
Comme il a été mentionné précédemment, le gouvernement fédéral a invité le public à formuler des commentaires sur le Règlement jusqu’au 2 novembre 2023, ce qui donne aux membres de l’industrie et au public l’occasion de faire part de leurs préoccupations et de formuler des commentaires sur le Règlement.
Bennett Jones a de l’expérience dans tous les aspects du secteur de l’électricité et de l’énergie, y compris le CCUS, le développement de l’hydrogène, l’échange de droits d’émission et dans l’élaboration de stratégies pour l’industrie afin de tirer parti de l’économie imminente à faibles émissions de carbone. Si vous avez des questions sur l’impact potentiel de l’ébauche du Règlement sur l’électricité propre sur votre entreprise, communiquez avec l’un des auteurs de cet article ou avec un membre du groupe de pratique réglementation de l’énergie de l’entreprise.
2 https://laws-lois.justice.gc.ca/eng/const/page-3.html#docCont
3 Références concernant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, 2021 CSC 11
4 Les émissions de CO2 doivent être quantifiées conformément aux Exigences de quantification des gaz à effet de serre d’Environnement et Changement climatique Canada, Programme de déclaration des gaz à effet de serre.
5 Le Règlement modifie l’annexe du Règlement désignant des dispositions réglementaires aux fins d’application de la loi (Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), SOR/2012-134.